Kafka demeure aux yeux de beaucoup un visage amaigri au regard enflammé, une vague silhouette qui rôde à l'ombre de son oeuvre, ou le nom d'une angoisse. On oublie quelquefois qu'il fut avant tout écrivain, et l'on ignore presque qu'il fut aussi un homme.
La monumentale trilogie biographique de Reiner Stach accomplit le prodige de ramener Kafka à la vie, de restituer l'effervescence intellectuelle de la Mitteleuropa à la charnière des xixe et xxe siècles.
Avec vigilance et rigueur, elle redonne corps et dimensions à une existence qui a, comme les textes, trop donné lieu à la spéculation. Ce premier tome couvre les années 1910-1915. Des années où Kafka écrit tour à tour Le Verdict, La Métamorphose, Le Disparu (Amérique) et Le Procès, et où sont posés, coup sur coup, des jalons décisifs pour la suite de son parcours : lourdes responsabilités professionnelles, redécouverte du judaïsme, premières publications, catastrophe de la Grande Guerre, et surtout rencontre, correspondance, fiançailles et rupture avec Felice Bauer.
Un ouvrage fascinant, à la fois récit d'une vie, livre d'histoire et essai critique, mené avec un rythme et une sensibilité de romancier.
Dans ce dialogue intellectuel et intime, la romancière Annie Ernaux et la sociologue Rose-Marie Lagrave, issues de la même génération, se livrent à une réflexion sur leurs trajectoires sociales : elles évoquent autant leurs points communs - familles modestes, normandes, bercées par le catholicisme -, que la manière différente dont elles se conçoivent en tant que transfuges de classe. Elles partagent ici leurs parcours, leurs lectures (de Pierre Bourdieu à Virginia Woolf), leurs rapports au travail, à la reconnaissance et à la vieillesse, et donnent à penser l'amitié féministe et l'écriture comme voies vers l'émancipation.
Il est mort jeune, à quarante-cinq ans, mais il laisse une oeuvre considérable, labyrinthique, construite comme autant d'expériences d'écriture. Une vie anéantie à peine commencée - père tué en 1940, mère disparue à Auschwitz. Pas de souvenirs d'enfance. De cette amnésie, Georges Perec fera le ressort de sa création littéraire : il ne cesse de chercher à retisser des liens et des repères par les lettres, le jeu, l'invention narrative. Son oeuvre trace des chemins obliques pour lire le monde et son histoire. La vie de cet homme qui s'est reconstruit grâce à sa passion des mots s'entrevoit essentiellement à l'ombre et à la lumière de ses livres.C'est en les lisant que Claude Burgelin s'efforce de retrouver la trame d'une vie et les secrets d'un imaginaire qui continue à fasciner par son charme indicible et ce qu'il conserve d'énigmatique. Il accompagne une enfance cassée avant d'être recréée par les ressources de l'intelligence. Esquisse le portrait d'un jeune homme déterminé à affronter l'existence en écrivant. Dessine un Perec partagé entre le travail de bureau et l'artisanat de l'écriture, expérimentateur de l'art d'écrire et de dire, paysan de Paris à la recherche de «l'infra-ordinaire», présent-absent de sa judéité qu'il revisite à Ellis Island, homme d'amitiés et de grands rires. Il vivra entouré d'une seule vraie parenté, tôt retrouvée auprès de certains auteurs, la famille de cet enfant de la littérature, qui a su devenir, par un infatigable labeur, un écrivain singulièrement heureux.
Cette rare nouvelle de Bounine, quasiment introuvable, Les songes de Tchang, datée d'octobre 1916 fait suite à La Barque à Un monsieur de San Francisco (1915). « Chaque être est digne d'attention... », ce sera ici Tchang, vieil ivrogne chien somnolant, compagnon canin du capitaine qui lui sert sa vodka, avec lequel six années durant « il lia sa vie terrestre ». « Six années enfin, c'est beaucoup ou peu ? », c'est le temps de vieillir ensemble, sans plus voyager, sur terre et non plus sur mer, dans le plus grand dénuement, avant d'avoir à finir ses jours. Ce sera « désormais avec les yeux de la mémoire » que Tchang verra le capitaine, c'est que même, se retrouvant avec son nouveau maître, le peintre ami du capitaine installé dans « un galetas de plus, mais plus chaud, parfumé de l'odeur du cigare, couvert de beaux tapis, garni de vieux meubles, d'immenses tableaux et de précieux brocarts... », il ne l'aura pas quitté. Demain, quel demain ? En cette vie, dormir est un passe-temps. Autant se rendormir. Voici alors que le rêve de Tchang nous est conté, débutant sur le pont d'un bateau, « sur un large fleuve de Chine »...
Paul Valéry occupa de 1937 à sa mort en 1945 la chaire de Poétique créée pour lui au Collège de France. Connu jusqu'à présent par de rares témoignages d'auditeurs, cet enseignement a pris dans l'histoire de la critique littéraire la dimension d'un mythe. Sous le nom de poétique, l'écrivain élabore en effet pour la première fois la synthèse du «Système» total de l'acte créateur dont il rêvait depuis sa jeunesse. Son originalité : situer la genèse de l'oeuvre littéraire et artistique non seulement dans l'ordre de la création individuelle, mais également dans un vaste horizon social. Véritable laboratoire de pensée, ce cours expérimental contient en germe une psychologie de la création, une sociologie de l'art et une esthétique de la réception, tout en croisant les interrogations actuelles de la phénoménologie, de la philosophie du langage et des neurosciences. Avec une curiosité sans limites, cet essai d'une anthropologie de la vie de l'esprit se révèle un monument de la pensée du XX? siècle.Dans ce premier tome, qui couvre les trois premières années du cours, Valéry insiste sur le rôle fondamental que jouent le corps et l'esprit dans la poétique, entendue de façon large comme étude de tous les processus de création. Rien n'échappe à l'analyse : les illusions de la philosophie sont dénoncées, l'utilité de l'art questionnée, l'existence psychique mise à nu. L'entrée dans la Seconde Guerre mondiale donne lieu à des réflexions bouleversantes sur l'avenir de l'Europe et des intellectuels.Paul Valéry et Gaston Gallimard avaient souhaité publier le cours de poétique. Près de quatre-vingts ans après la mort de l'écrivain, voici son voeu exaucé et sa dernière grande oeuvre dévoilée.
Paul Valéry occupa de 1937 à sa mort en 1945 la chaire de Poétique créée pour lui au Collège de France. Connu jusqu'à présent par de rares témoignages d'auditeurs, cet enseignement a pris dans l'histoire de la critique littéraire la dimension d'un mythe. Sous le nom de poétique, l'écrivain élabore en effet pour la première fois la synthèse du «Système» total de l'acte créateur dont il rêvait depuis sa jeunesse. Son originalité : situer la genèse de l'oeuvre littéraire et artistique non seulement dans l'ordre de la création individuelle, mais également dans un vaste horizon social. Véritable laboratoire de pensée, ce cours expérimental contient en germe une psychologie de la création, une sociologie de l'art et une esthétique de la réception, tout en croisant les interrogations actuelles de la phénoménologie, de la philosophie du langage et des neurosciences. Avec une curiosité sans limites, cet essai d'une anthropologie de la vie de l'esprit se révèle un monument de la pensée du XX? siècle.Paul Valéry et Gaston Gallimard avaient souhaité publier le cours de poétique. Près de quatre-vingts ans après la mort de l'écrivain, voici son voeu exaucé et sa dernière grande oeuvre dévoilée.Dans ce second tome, couvrant les années d'Occupation et la Libération, la réflexion s'élargit aux «oeuvres collectives de l'esprit». Comment le langage organise-t-il la vie psychique ? Comment fonde-t-il aussi l'existence sociale ? Tandis que les méditations sur la société et sur l'histoire prennent une importance croissante, Valéry livre, la dernière année, son testament intellectuel sur la responsabilité de l'écrivain et sur l'idéal de la littérature.
Riprap est le premier recueil de poèmes de Gary Snyder. Il paraît en 1959 à Kyoto, alors que le poète réside temple Daitoku-Ji de la secte rinzai zen et suit les enseignements du maître Oda Sesso Roshi. Quelques années plus tôt, en 1955, Gary Snyder travaille comme garde forestier, préposé à l'aménagement et l'entretien des sentiers de Piute Creek dans le parc national de Yosemite, en Californie. Cette expérience de vie sera au départ de l'écriture de Riprap. Durant cette période, il traduira brillamment les poèmes du moine vagabond chinois Han-Shan. Gary s'inscrit à l'American Academy of Asian Studies et y rencontre son professeur Alan Watts. Kenneth Rexroth le présente à Allen Ginsberg et Jack Kerouac, lequel s'inspirera de leur ascension du Pic Matterhorn au Parc national de Yosemite pour écrire The Dharma Bums.
En 2001, l'éditeur DuMont Verlag pose à Thomas Kling la question suivante : « De quels poèmes en langue allemande avons-nous besoin en ce début de siècle ? » C'est en tant que réponse à cette question qu'il faut lire le choix présenté ici : une sélection de poèmes indispensables pour le poète qu'est Thomas Kling, non une anthologie de plus. Mémoire vocale a valeur de programme poétologique : des formules magiques de Mersebourg aux poètes et poétesses d'aujourd'hui, sont présentés ici des textes destinés à mettre en valeur toutes les ressources qu'offre l'allemand sur une dizaine de siècles, dans la diversité de ses registres : langue incantatoire, jargons et hybridations telles que le rotwelsch, l'argot des classes marginalisées, mêlé d'allemand, de néerlandais et de yiddish et parlé surtout dans l'ouest de l'Allemagne, qui a toujours fasciné le Rhénan qu'était Kling. Si la plupart des noms attendus sont présents (Bachmann, Brecht, Celan, Goethe, Hölderlin, Jandl, Nietzsche, Novalis, Rilke...) Il s'agit là d'un choix singulier, à contre-pied du canon littéraire, notamment par la place limitée faite à la tradition classique et romantique, mais qui offre une part belle à la poésie du Moyen Âge, aux audaces de la poésie « baroque », à la diversité inventive des écritures modernes et contemporaines. Celui pour qui le poème est « instrument optique et acoustique de précision qui provient et se met au service de la perception, la perception exacte de la langue » assume ici la subjectivité d'un choix moins de poètes que de textes admirés, ce qui peut expliquer les surprises que réserve Mémoire vocale : la poétesse d'origine juive Gertrud Kolmar, morte en déportation, est placée dans l'immédiat voisinage de Josef Weinheber, un poète autrichien controversé en raison de sa collaboration avec le régime nazi ; Hans-Magnus Enzensberger, dont Thomas Kling n'a jamais fait mystère du peu d'intérêt qu'il portait à sa poésie de « gardien de musée », est représenté, alors que Nelly Sachs, lauréate du Prix Nobel de littérature en 1966, ne l'est pas
Justine Augier ("De l'ardeur", "Par une espèce de miracle"...) qui pratique et incarne une forme de pudeur et d'éthique littéraire assez uniques voit son projet d'écrire sur la littérature comme lieu de l'engagement entrer en collision avec la maladie et bientôt la mort de sa mère. Alors que la nature même de l'urgence mute, l'intime et l'universel se tressent dans un texte bouleversant de justesse et de clairvoyance. Et qui rappelle le potentiel devenir résistant de chaque lecteur.
À l'intersection du littéraire et du politique un livre bref et fulgurant qui trouve sa place entre Hannah Arendt et Joan Didion. Pas moins.
En 1947, John Steinbeck et Robert Capa voyagent quarante jours en URSS, de Moscou à Stalingrad en passant par la Géorgie et l'Ukraine pour un reportage destiné au New York Herald Tribune.Ce journal traduit par Philippe Jaworski, est pour la première fois publié en français, dans son intégralité avec les photographies de Capa.
« Je dois écrire sur mon bonheur de recouvrir un dessin de texte. Entre 7 et 22 ans j'ai cru que je serais peintre. À 22 ans le peintre en moi est mort et j'ai commencé d'écrire des romans. En 2008, je suis entré dans une boutique pour en ressortir avec deux grands sacs pleins de crayons et de pinceaux, le peintre en moi n'était pas mort. » Depuis ptus de dix ans,Orhan Pamuk écrit et dessine quotidiennement dans ses carnets. lI y consigne les événements de la journée, note ses réflexions sur l'actualité, s'interroge sur la construction de ses livres, dialogue avec les personnages de ses romans... Les semaines, les mois, les années passent, et l'auteur reprend, complète, crayonne sans cesse les pages restées vides, donnant naissance à un ensembte foisonnant exceptionneI où s'entremêlent textes et dessins.
Pour la première fois, l'écrivain qui rêvait de devenir peintre révèle ses carnets à travers une sélection personnelle réalisée parmi plusieurs milliers de pages.
Écrivain, vedette de music-hall, journaliste, première femme à recevoir en France des funérailles nationales... Les différentes facettes de la vie de Colette témoignent de son goût personnel pour l'alliance de contraires qui chez elle n'en sont pas. C'est le fil de cette vie riche et intense que tire Emmanuelle Lambert dans un portrait littéraire illustré par les photographies d'Henri Cartier-Bresson, Robert Doisneau, Gisèle Freund, Lee Miller et Irving Penn entre autres. Elle nous y invite à relire l'oeuvre et la vie d'une icône, l'une des plus grandes stylistes du siècle dernier.
Le plaisir que procurent ces poèmes-comptines, tous construits sur le même modèle est si délectable qu'il incite à en inventer d'autres, et si évident qu'il n'a guère besoin d'être commenté. « À notre sens, c'est lui [Lear] qui est, chronologiquement et essentiellement, le père du nonsense; nous le croyons supérieur à Lewis Carroll. [...] Alors que le Pays des merveilles de Carroll est purement intellectuel, Lear fait apparaître un autre élément - qui est celui de la poésie, et même de l'émotion. Lear n'introduit pas ses mots dépourvus de sens et ses créatures amorphes avec toute la pompe de la raison, mais accompagnés d'un prélude romantique aux riches couleurs et aux rythmes entêtants. » G.K. Chesterton, Le Défenseur, 1902
« Nous avons redressé la tête pour voir passer au-dessus de nous une volée de corbeaux dont la multitude masquait en bonne partie le ciel. Ils étaient si nombreux que c'en était oppressant. Battant des ailes dans un même ondoiement, unis en un silence impressionnant, les oiseaux noirs se dirigeaient vers la colline et le moutonnement de ses bois. Ils se fondirent bientôt dans la distance à la masse confuse des arbres.»Cinq nouvelles d'une inquiétante étrangeté poétique.
Palmarès Le Point - Les 30 livres de l'année 2022« C'est à l'âge de quinze ans que le chant s'est éveillé en moi. Je m'ouvrais à la poésie et entrais, comme par effraction, dans la voie de la création... » Depuis son premier essai sur l'eau et la soif - unique témoin de son adolescence chinoise qu'il a emporté en France et dont il nous livre aujourd'hui la traduction - en passant par ses rencontres avec Gide, Vercors, Lacan, Michaux, Emmanuel, Bonnefoy et tant d'autres, François Cheng nous fait partager la longue route qui l'a conduit à devenir, lui l'exilé qui ne savait dire ni « bonjour » ni « merci » lorsqu'il est arrivé à Paris, un poète français.Cette route, malgré les affres de la guerre en Chine, l'extrême précarité matérielle des premières décennies en France, et de cruels tourments intérieurs, mais est toujours éclairée par la poésie française qu'il intériorise au fond de sa nuit solitaire. Elle l'est aussi par un amour passionné pour la langue d'un pays dont François Cheng a fini par épouser le « chant » et le destin. La lumière singulière qui émane de ce récit est celle d'une symbiose qui unit la Voie du Tao et la voie orphique et christique, orientant sans cesse le poète vers l'authentique universel. Une merveille. Challenges
En 1981, Georges Perec s'interroge : doit-il dire « j'habite Paris », « j'habite à Paris », « j'habite la capitale », « j'habite la Ville lumière », ou encore « j'habite la ville qui jadis s'appelait Lutèce » ?
Tel est le Paris de Perec. Un lieu où vivre, mais aussi un terrain de jeu, d'expérimentation et d'écriture. Une ville puzzle, coupée en morceaux par « l'histoire avec sa grande hache », et dont les pièces éparses demandent à être patiemment assemblées : le Belleville pauvre de la prime enfance, le 16e arrondissement cossu de l'adolescence, le Quartier latin de l'âge adulte, les cafés, les appartements amis...
Avec Perec, Paris devient texte. La ville de papier trouve son mode d'emploi.
Elle est sans conteste l'une des géantes de la littérature américaine contemporaine. Susan Sontag (1933-2004), jeune fille surdouée mais peu sûre d'elle, animée par le désir farouche de s'inventer un personnage à la hauteur de ses aspirations, s'ingénia toute sa vie à bâtir sa propre mythologie.
Son oeuvre foisonnante (ses romans, ses essais sur l'art et la politique, le féminisme et l'homosexualité, la célébrité, la maladie et la mort) offre une clé de lecture indispensable à la compréhension de notre culture saturée d'images et de conflits. Chroniqueuse des soubresauts de son époque (de la guerre d'Algérie au siège de Sarajevo en passant par la révolution cubaine et la chute du mur de Berlin), elle sut tout aussi bien exercer son regard acéré sur sa vie personnelle, marquée par des aventures amoureuses extraordinaires et une constante remise en cause de soi.
Fruit de six années de recherches, au cours desquelles Benjamin Moser a eu accès à de nombreuses archives personnelles inédites et à des proches de Susan qui n'avaient encore jamais parlé d'elle (dont sa dernière compagne, la photographe Annie Leibovitz), Sontag est une enquête passionnante sur une femme qui, en s'emparant de sa propre destinée, a contribué à redéfinir en profondeur les termes de la condition féminine.
Édition illustrée de seize photographies et de trois lettres en fac-similé
Réalisé à partir d'entretiens que Michelle Porte a eus avec Marguerite Duras, à l'occasion de deux émissions de télévision en mai 1976, cet ouvrage présente Marguerite Duras " par elle-même ".
En concevant l'ouvrage comme un contrepoint de textes (ceux des romans de Duras mêlés aux textes des entretiens) et de photos, Michelle Porte est partie d'une démarche concrète : suggérer les différents lieux de Marguerite Duras, la maison de Neauphle, le parc, la forêt, Trouville, la mer, un pays de sable et d'eau, tels qu'ils apparaissent continuellement dans ses romans, son théâtre ou ses films, tels qu'elle les ressent comme " porteurs de l'histoire " et tels qu'elle les vit.
Il ne faut donc pas voir l'iconographie comme une illustration, mais comme un lien au texte. De la même façon qu'il faut lire les textes écrits avec les textes parlés, il faut lire les photos, souvent commentées par Marguerite Duras, comme un prolongement du texte. Ainsi à partir des photos de la maison de Marguerite Duras à Neauphle-le-Château et de l'entretien réalisé sur ce même lieu, Michelle Porte fait parler l'auteur de son film, Nathalie Granger, tourné lui aussi à Neauphle et Duras exprime toute l'idée d'enfermement qu'elle associe à la maison.
Dans l'entretien réalisé aux Roches Noires, à Trouville, où Marguerite Duras a écrit Le Ravissement de Lol V.Stein, on voit combien les lieux sont pour elle porteurs de mémoire et font revivre l'enfance en Indochine, les terres du Barrage contre la Pacifique. C'est là qu'elle a écrit et filmé La Femme du Gange. C'est là qu'elle continue d'écrire l'histoire de Lol V. Stein et celle d'Anne-Marie Stretter.
Dans ces entretiens, la parole n'est pas seulement un témoignage, elle se fait écriture et mise en oeuvre.
Annie Ernaux est aujourd'hui, de façon incontestable, l'un des auteurs français les plus (re)connus dans le paysage littéraire contemporain, son oeuvre est traduite dans de nombreux pays et couronnée par de multiples prix (récemment encore le Prix Prince Pierre de Monaco). Ce volume qui lui est consacré permettra tout à la fois de satisfaire les lecteurs les plus érudits mais également de répondre à la curiosité littéraire d'un public de plus en plus large et fidèle. Mêlant regards critiques et interventions plus personnelles d'écrivains ou d'artistes, le Cahier explore autant les enjeux sociologiques, historiques et parfois psychanalytiques de l'oeuvre d'Annie Ernaux que sa sensibilité intime. La multitude des intervenants, issus de milieux aussi divers que le cinéma, le théâtre, la littérature, la chanson et la recherche littéraire, vise à mettre en valeur les nombreuses facettes du travail d'Annie Ernaux. Certaines parties mettent l'accent sur des ouvrages précis, L'Événement, Les Années et Mémoire de fille, quand d'autres abordent les thématiques qui traversent toute l'oeuvre ; écriture, voyages, engagement politique,... De nombreux extraits inédits du journal d'écriture d'Annie Ernaux témoignent par ailleurs du regard sans cesse éveillé que l'écrivaine pose sur le monde.
Pour quelqu'un de ma génération, né après la Seconde Guerre mondiale et désireux de savoir comment il se serait comporté en de telles circonstances, il n'existe pas d'autre solution que de voyager dans le temps et de vivre soi-même à cette époque. Je me propose donc ici, en reconstituant en détail l'existence qui aurait été la mienne si j'étais né trente ans plus tôt, d'examiner les choix auxquels j'aurais été confronté, les décisions que j'aurais dû prendre, les erreurs que j'aurais commises et le destin qui aurait été le mien.
Pierre Michon brasse l'histoire, les archives et les minutes ordinaires.
Ses livres inactualisent pourtant les siècles, pour mieux faire effraction dans le présent, par la violence intempestive d'une énonciation impérieuse.
Scribe au lutrin, aède au crépuscule de l'Empire romain, barbichu sous la Troisième République, acteur beckettien, historien romantique, chasseur préhistorique, moderniste à contretemps, fin lettré, révolutionnaire des Lettres et écrivain de la Terreur : Pierre Michon est tout cela à la fois, à force de troubler les temps antérieurs et de désordonner l'histoire.
Je voudrais rendre à cette oeuvre contemporaine sa force d'irruption et sa puissance d'événement. Au lieu de l'écrivain majuscule, entré de son vivant dans les histoires littéraires, travailler à déclassiciser Pierre Michon. Rappeler en somme la voix barbare qui gronde sous le style, la sauvagerie moderniste tapie sous le souci de réparer les vies ou la brutalité préhistorique sous l'ambition démocratique.