Il n'est jamais entré dans un musée, il ne lisait que Paris-Normandie et se servait toujours de son Opinel pour manger. Ouvrier devenu petit commerçant, il espérait que sa fille, grâce aux études, serait mieux que lui.Cette fille, Annie Ernaux, refuse l'oubli des origines. Elle retrace la vie et la mort de celui qui avait conquis sa petite «place au soleil». Et dévoile aussi la distance, douloureuse, survenue entre elle, étudiante, et ce père aimé qui lui disait:« Les livres, la musique, c'est bon pour toi. Moi, je n'en ai pas besoin pour vivre.»Ce récit dépouillé possède une dimension universelle.
«J'ai toujours eu envie d'écrire des livres dont il me soit ensuite impossible de parler, qui rendent le regard d'autrui insoutenable. Mais quelle honte pourrait m'apporter l'écriture d'un livre qui soit à la hauteur de ce que j'ai éprouvé dans ma douzième année.»Annie Ernaux.
Après la mort de son père, Didier Eribon retourne à Reims, sa ville natale, et retrouve son milieu d'origine, avec lequel il avait plus ou moins rompu trente ans auparavant. Il décide alors de se plonger dans son passé et de retracer l'histoire de sa famille. Évoquant le monde ouvrier de son enfance, restituant son ascension sociale, il mêle à chaque étape de ce récit intime et bouleversant les éléments d'une réflexion sur les classes, le système scolaire, la fabrication des identités, la sexualité, la politique, le vote, la démocratie...Réinscrivant ainsi les trajectoires individuelles dans les déterminismes collectifs, Didier Eribon s'interroge sur la multiplicité des formes de la domination et donc de la résistance.Un grand livre de sociologie et de théorie critique.
Pierre vient d'une sorte de nulle part social, sans classe ni maison pour le protéger. Il transforme progressivement son destin, découvre la chaleur que procure une place auprès des autres, comme les autres. Il aborde le monde avec la liberté, et parfois le succès, de celui qui n'en connaît pas les règles.
Cet ouvrage autobiographique ne relate pas une « belle histoire ». Il s'inscrit dans une conception de la sociologie qui associe la critique et l'espoir, qui se doit d'énoncer le bien et pas seulement de dénoncer mal. Il montre qu'on peut s'emparer de son histoire, malgré la violence, le mépris et l'isolement. Il raconte qu'on est rarement seul, comme un extraordinaire héros, ou une pure victime, face au monde : l'amour, l'amitié et la complicité de quelques « fées » permettent de subvertir un destin social. Mais il souligne également qu'on n'abandonne jamais ses origines. Pierre entre ainsi en société sans oublier les images d'une mère sans limites affectives, d'un père en prison, de la violence des normes. Cette tension représente le coeur de l'ouvrage.
Du genre autobiographique, on connaissait les récits sans enquête et les ego-histoires de « grands hommes » ; dans les sciences sociales, les enquêtes sur des proches tenus à distance par l'effacement de soi. Renouant avec l'ambition d'une sociologie sensible et réflexive, Rose-Marie Lagrave propose un nouveau type de socioanalyse : l'enquête autobiographique.
Ressaisissant son parcours en sociologue et en féministe, elle remet en cause les récits dominants sur la méritocratie, les stéréotypes associés aux transfuges de classe, le mythe d'un « ascenseur social » décollant par la grâce de talents ou de dons exceptionnels. Cet ouvrage retrace une migration sociale faite de multiples aléas et bifurcations, où domination de classe et domination de genre s'entremêlent : le parcours d'une fille de famille nombreuse, enracinée en milieu rural, que rien ne prédestinait à s'asseoir sur les bancs de la Sorbonne puis à devenir directrice d'études à l'EHESS, où elle croise notamment les chemins de Michelle Perrot, Françoise Héritier, Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron.
Mobilisant un vaste corpus théorique et littéraire, Rose-Marie Lagrave ouvre sa malle à archives et la boîte à souvenirs. De ses expériences de boursière à ses engagements au MLF et sa pratique du métier de sociologue, elle exhume et interroge les traces des rencontres qui l'ont construite. Parvenue à l'heure des bilans, cette passeuse de frontières et de savoirs questionne avec la même ténacité la vieillesse et la mort.
Contre les injonctions de « réussir » et de « rester soi », ce livre invite à imaginer de nouvelles formes d'émancipation par la socioanalyse : se ressaisir, c'est acquérir un pouvoir d'agir, commun aux transfuges de classe et aux féministes, permettant de critiquer les hiérarchies sociales et de les transgresser.
Publié en France il y a plus de quarante ans, La Culture du pauvre est devenu un classique de la sociologie des classes et des cultures populaires. Dans 33 Newport Street, Richart Hoggart entreprend de raconter sa propre histoire tout en cherchant à comprendre ce qui l'a rendue possible et aujourd'hui, pensable. Il y évoque en écrivain son enfance dans un quartier ouvrier du Leeds des années 1920.
Le récit de cette enfance si démunie, et pourtant si riche de souvenirs, fait comprendre que les groupes les plus dominés ont encore une culture, et qu'en même temps il n'est pas de culture populaire, si repliée sur elle-même et si protégée soit-elle, qui ne soit habitée par la domination qui s'exerce sur elle. Hoggart raconte aussi comment il a réussi à sortir, grâce à l'école, de son milieu d'origine, sans rien renier de ses origines ni de sa trajectoire et de sa réussite.
Autoportrait d'un intellectuel issu des classes populaires, 33 Newport Street dessine en creux, et pour une fois en négatif, le portrait de l'intellectuel d'élite standard.
Depuis qu'il est arrivé à Paris, Adrien Naselli, père conducteur de bus et mère secrétaire, tient une liste des gens comme lui, ces « transfuges de classe » qui concentrent l'attention des médias. Pour cette enquête, il est allé à la rencontre de leurs parents. Ils sont ouvriers, agriculteurs, aides-soignantes, petits employés, tandis que leurs enfants sont journalistes, écrivains, magistrats ou universitaires. Ils gagnent le smic ou à peine plus, ont quitté l'école avant dix-huit ans et n'ont pour la plupart jamais pris l'avion. Dans le conte de fées de la méritocratie, ils sont l'envers du décor Dans ce livre tendre et poignant, Adrien Naselli a voulu redonner la parole à ceux qu'on n'entend jamais. Princes et princesses de la République, les transfuges de classe ont vu leurs parents, ni rois ni reines, relégués au second plan. Ce livre leur rend la couronne.
"Maintenant que j'ai des photos d'elle, peut-être qu'à les regarder attentivement les traits de son visage s'inscriront à rebours dans ma mémoire. Peut-être qu'à force de la regarder elle reprendra vie, dans une boucle des synapses de mon cerveau. A défaut de me souvenir, arriverai-je, enfin, à l'imaginer ? "Christine Détrez a perdu sa mère à deux ans et demi et n'entendra plus jamais parler d'elle.
Elle sera élevée par une autre femme, que de tout son coeur elle appellera maman. Devenue sociologue, épouse, mère à son tour, Christine Détrez s'autorise enfin le droit de savoir. Débarrassée de la peur et de la culpabilité, elle remonte avec ferveur le fil d'une vie, cherche, interroge, invente. A partir du souvenir d'un geste, celui d'une démarche, l'intonation d'un mot, mais aussi des comédies musicales qui ont bercé son enfance, elle érige le portrait d'une femme libre et passionnée, faisant ainsi de sa mère une véritable héroïne romanesque.
Entre enquête de terrain et coïncidences magiques, un récit littéraire fascinant qui pose la question de l'identité face aux silences et aux secrets de famille.
La théorie de la reproduction sociale admet des exceptions dont il faut rendre compte pour en mesurer la portée. Cet ouvrage a pour but de comprendre philosophiquement le passage exceptionnel d'une classe à l'autre et de forger une méthode d'approche des cas particuliers. Il analyse les causes politiques, économiques, sociales, familiales et singulières qui concourent à la non-reproduction sociale, ainsi que leurs effets sur la constitution des individus transitant d'une classe à l'autre.
A la croisée de l'histoire collective et de l'histoire intime, cette démarche implique de cerner la place dans la classe, le jeu des affects et des rencontres, le rôle des différences sexuelles et raciales. Elle invite à briser l'isolement disciplinaire pour appréhender la singularité au carrefour de la philosophie, de la sociologie, de la psychologie sociale et de la littérature. Elle requiert la déconstruction des concepts d'identité sociale et personnelle au profit d'une pensée de la complexion et du métissage des déterminations.
À travers la figure du transclasse, c'est ainsi toute la condition humaine qui est éclairée sous un nouveau jour.
Historiens, philosophes, sociologues, psychanalystes, hommes d'arts et de métiers : les auteurs de ce livre sont pour la plupart des transclasses, produits d'une histoire singulière et collective. Ils prennent ouvertement la parole et croisent leur approche pour rendre visible une réalité parfois idéalisée, mais très souvent méconnue : celle du passage d'une classe à une autre. Ni fierté outrancière, ni honte coupable : ils veulent avant tout comprendre l'origine et la nature d'un tel changement social et s'interroger sur la fabrique d'une manière d'être et de vivre l'entre-deux.
À travers des récits en première personne et l'examen de figures et de configurations historiques, présentes et passées, ils font le pari que les mouvements au sein de la société ne sont pas réductibles à des données statistiques, que l'intime a une portée politique et peut être audible et utile à tous, transclasse ou non.
L'histoire de Franck est celle d'un grand écart. Fils d'ouvrier, il dirige aujourd'hui la filiale française d'un grand groupe pétrolier international. Grâce à un indéniable talent mais aussi à une forme de hasard heureux, Franck a su échapper à son milieu et devenir un très grand patron. Dans cette ascension sociale fulgurante, il est resté étranger à la honte des origines, mais n'a pas été tenté pour autant par l'entrisme. Son itinéraire offre un autre modèle : celui de la survalorisation des origines populaires comme arme de pouvoir. Charismatique et meneur d'hommes, Franck peut également être un patron impitoyable.
En vérité, l'insurrection contre mes parents, contre la pauvreté, contre ma classe sociale, son racisme, sa violence, ses habitudes, n'a été que seconde. Car avant de m'insurger contre le monde de mon enfance, c'est le monde de mon enfance qui s'est insurgé contre moi. Je n'ai pas eu d'autre choix que de prendre la fuite. Ce livre est une tentative pour comprendre.
É. L.