Mutilations, viols, crimes d'honneur, féminicides, vitriolages, avortements forcés... Le patriarcat est un régime de terreur. Les hommes ont tiré pendant des siècles avantage symbolique et matériel d'une domination qu'ils ont établie par la force brute. Aujourd'hui, grâce à la scolarisation et à leur entrée sur le marché du travail, les femmes parviennent en de nombreux endroits à secouer le joug. Mais cette aspiration à l'égalité, dont le mouvement #MeToo a été une manifestation planétaire, ne va pas sans déchaîner en retour la colère ni sans alimenter un désir de représailles. La lutte pour l'émancipation est âpre. Aucun groupe dirigeant ne renonce à sa position de supériorité sans combattre.
C'est cette résistance acharnée, parfois sanglante, qu'Abram de Swaan documente de manière implacable, d'un bout à l'autre du monde. Djihadisme, fondamentalisme religieux, courants réactionnaires, mouvements d'extrême droite... : son attention se porte sur tous les groupes qui, quand il s'agit des femmes et du féminisme, montrent une parfaite identité de vue. Cette enquête globale et percutante pose les fondements d'une encyclopédie contemporaine de la misogynie.
Ce livre, aussi rigoureux qu'inventif, offre une perspective stimulante sur les questions de « l'internationalisation » et de « la mondialisation ». Il prend les choses à rebours : il s'intéresse aux institutions nationales mais au lieu d'adopter pour cela un point de vue lui-même national, Abram de Swaan fait apparaître que les États-nations et leurs institutions sont inextricablement imbriqués dans des structures transnationales souvent remarquablement prégnantes. Même dans des domaines considérés comme relevant par excellence des affaires intérieures, les questions de langue et du système scolaire par exemple, de Swaan révèle de manière inattendue le primat des structures transnationales. Les analyses des pratiques culturelles ou des programmes d'enseignement actuels et futurs qui se placent spontanément dans les limites des frontières nationales, oublient le caractère primordial de leur inscription dans ce qu'on peut concevoir comme une société transnationale émergente. Ce livre change ainsi radicalement la perspective dominante en sciences sociales et renouvelle la compréhension de plusieurs questions centrales notamment pour la poursuite de la construction européenne.
Les études portant sur les génocides sont restées enfermées dans un système d'oppositions étroit : les massacres de masse sont-ils le point culminant de la « modernité » ou même de la « démocratie », ou au contraire la manifestation d'un « effondrement de la civilisation » et d'un « retour à la barbarie » ? Ceux qui les ont perpétrés sont-ils des hommes « ordinaires » ou bien des « psychopathes » ? Et la Shoah représente-t-elle une singularité historique ou peut-elle être comparée à d'autres entreprises génocidaires ?
À travers l'analyse de seize épisodes d'extermination du XXe siècle, ce livre entend dépasser ces approches pour comprendre à quelles conditions la frénésie meurtrière qu'ils manifestent peut éclater et comment des individus se révèlent disposés à y prendre part.
À leur sujet s'est développée une conception singulière : ceux qui, des semaines, des mois, voire des années durant ont massacré leurs semblables, sans scrupules, sans pitié, parfois avec entrain et, après coup, sans remords seraient des « hommes ordinaires » obéissant simplement aux ordres ou à l'idéologie du temps. En somme : « Vous et moi, dans les mêmes circonstances, aurions fait la même chose. » Interrogeant le déroulement des faits et les témoignages, souvent négligés ou pris au pied de la lettre, des protagonistes, Abram de Swaan ébranle ici radicalement la thèse de la « banalité du mal ».