Les langues savent sur nous des choses que nous ignorons. Elles diffèrent non par les mots, qui voyagent et s'échangent par familles, mais par leurs idéalisations collectives, logées dans leur morphologie.Aujourd'hui, la langue française est en passe de s'effondrer en une sorte de dialecte de l'empire anglo-saxon - ce qui implique un autre Réel, autant qu'un infléchissement collectif des visions du monde et des relations humaines, dont aucun politique, semble-t-il, n'a la première idée.«Speak white !», partout résonne l'injonction de parler la langue du maître : nous soumettrons-nous ? Mais pourquoi renoncer au bonheur de parler français ?
« Dürer donne rendez-vous en l'an 2000. À présent que nous sommes à l'échéance annoncée, que reste-t-il à écrire de Dürer ? » Question bien légitime que celle qui inaugure Le Burin du graveur, publié pour la première fois il y a quarante ans en introduction d'une édition de L'OEuvre gravé complet (Hubschmidt & Bouret, 1980). Citant pour points de départ les études de Pierre du Colombier, Paul Vaisse ou encore Erwin Panofksy, qu'il nomme ses « matériaux », Alain Borer s'engage ouvertement dans un tour d'horizon ; et c'est armé d'une érudition considérable et d'un fécond esprit de synthèse qu'il réarpente, réagence et révèle les grandes lignes de la constellation Dürer.
Difficile par conséquent de résumer cette étude qui pourrait bien être à l'image du peintre luimême : monographique, certes, de même que se veut unique et inimitable l'auteur d'autoportraits marquant au sortir du Moyen-Âge la « prise de conscience de l'individu », l'« exaltation de la personnalité » et le « stade du miroir de la peinture » ;
Mais surtout profuse, effervescente, comme le sont les intérêts et les facettes de l'homme de la Renaissance.
On découvrira ou redécouvrira ainsi Dürer en voyageur, observateur et chroniqueur dans ses écrits et ses dessins ; collectionneur à la « curiosité tous azimuts » ; découvreur avide mais point avare de ses découvertes ; féru d'astrologie et de caractérologie ; théoricien pionnier ; mais aussi innovateur dans son métier, peintre maniaque, obsédé par « la perfection technique et l'idée même de beauté » ; orfèvre ; à la fois « humaniste, pieux et luthérien, bon époux et bon citoyen, sage comme une image » et auteur de lettres débordantes de gaudriole et de paillardise...
Ouvrage, en somme, qui loin de réduire Dürer au mince tracé d'une ligne claire, s'étoffe pour rendre compte de sa grandeur.
« Toute oeuvre de Beuys meurt en chemin, le seul fait de l'emballer, de l'enlever au sol, de figer son ordre établi autrefois perturbe le souvenir, profane la relation. La fugacité, tel est le problème de l'art de Beuys. » Cette observation de Markus Lüpertz énonce le sens et la nécessité de la Déploration de Joseph Beuys qu'Alain Borer signa en ouverture du catalogue de l'exposition posthume organisée au Centre Pompidou en 1994, ainsi que de sa réédition à part, aujourd'hui, à L'Atelier contemporain.
Plus le temps passe, en effet, plus s'éloigne cette oeuvre qui, ayant suscité le commentaire à l'égale des plus grandes du XXe siècle, a par rapport à elles le désavantage mais aussi la force singulière d'avoir été incarnée par son auteur. « OEuvre-vie », dans les termes de Borer, oeuvre faite chair, en actions et en discours, forcément inachevée, interrompue par la mort et appelant par conséquent le thrène, l'hommage, la commémoration, de même qu'elle suscita du vivant de l'artiste la fascination, voire l'idolâtrie.
Dans cette introduction érudite à une oeuvre qui « présentant tous les signes d'une complexité dérangeante, est de celles qui ne peuvent faire l'économie d'une large réflexion théorique », Alain Borer ne ménage pas inutilement le mythe. Relevant chez Beuys des traits sciemment christiques et, dans son parcours, une touche voulue de légende dorée, sa Déploration ne donne pas dans l'hagiographie ; elle nomme sans ergoter l'apparence de « rabâchage », voire de « flou artistique », et l'esprit de sérieux de cette « conférence permanente », contrepied total de l'art pour l'art. Mais l'examen attentif des problèmes soulevés par cet homme-oeuvre permet au tact et au talent de Borer de les surmonter en nommant l'ambition, inclassable à force d'être totalisante, qui lui confère ce qu'il faut bien appeler à plus d'un titre sa grandeur.
Analysant les travaux et les performances dans l'ensemble et dans le détail, explorant la figure de Beuys en cercles concentriques constituant autant d'avatars d'un artiste « pédagogue-berger-thérapeute-évolutionnairerévolutionnaire », l'hommage d'Alain Borer rend justice à celui qui fut l'auteur d'un concept d'art infatigablement élargi à toute la société ; qui vit en chaque homme un artiste attendant pour s'éveiller d'être reconduit aux principes manifestés par la vie et les matériaux naturels ; qui professa très tôt la nécessité de l'assainissement du rapport de l'humanité à son environnement ; et qui, armé d'une inlassable volonté de guérir son pays natal, ouvrit la voie à toute la génération d'artistes allemands de l'après-guerre.
« Je n'ai vu la Beauté que trois fois dans la vie, la Beauté absolue, celle qui vous prend sur ses genoux, évidence indiscutable, coup de poing au plexus souffle coupé, extase instantanée, satori au cours duquel tout comprendre et se taire à la fois : - la première en accédant au plafond de la chapelle Sixtine...- la seconde en découvrant le bleu des mers du Sud, qui ne se transporte d'aucune façon, et que l'on n'a jamais retrouvé nulle part ailleurs que dans le fameux vitrail de Chartres, ce bleu cyan unique dont on a perdu le secret de fabrication.- la troisième ? Ce fut de me trouve seul devant (sinon dans) l'affiche L'Humour jaune, Boulevard Pasteur, février 1953, un matin de 2008, au Centre Pompidou, un choc dont ce livre tente encore de rendre compte : ce fut l'éclair ; et la détonation se produisit le lendemain matin très tôt, dans la station de métro assemblée nationale » (A. B.)
Eloge du français dans lequel l'auteur révèle les richesses de la langue et déplore qu'elle ne soit mieux employée.
Le 13 décembre 1880, à vingt-sept ans, Arthur Rimbaud arrive à Harar, aux confins désertiques de l'Est éthiopien, pays qui était alors appelé Abyssinie. À cheval, déguisé en marchand mahométan, il part « trafiquer dans l'inconnu ». Quatre-vingt-dix-sept ans plus tard, un jeune écrivain français sillonne le pays, interroge partout les gens, pousse même, sur les traces de Rimbaud, jusqu'en Égypte...
Richard Mille, 54 ans, a réalisé toute sa carrière dans la haute horlogerie. Son amour de la mécanique de très haute précision, sa passion pour la perfection technologique ont inspiré ses créations. Des milliers d'heures de recherche en ingénierie dans un atelier ultramoderne du Jura suisse ont abouti en 2001 à la réalisation et à la commercialisation de la montre de poignet à la fois la plus ergonomique et la plus sophistiquée du point de vue technique. Depuis, une dizaine de nouveaux modèles ont été créés et lancés avec succès.
Au début de notre ère, un terrible ouragan dévaste ces hautes vallées du Caucase que l'on appelait le «Ventre du monde». Pour se venger du Vent, un bûcheron géorgien, Koba, chef des Abreks, décrète l'extermination des dieux, de tous les dieux, où qu'ils se trouvent.
Alors commence cette chasse insensée : les «Insoumis», ainsi s'appellent-ils eux-mêmes, déferlent sur les hauts plateaux d'Arménie, installant partout, jusque dans les chemins de neige, des pièges à dieux. Koba s'écrie : «Que les dieux nous blâment à leur guise ! Laissons-les pousser des cris de rage ; même s'ils se lèvent contre nous, nous serons vainqueurs !» Pour se rendre plus effrayants, les Abreks s'enduisent de glu et se roulent dans les chardons. Massacres, viols et pillages s'enchaînent : Ninive est en flammes, Babylone mise à sac. Dans les déserts de Syrie, des juifs leur parlent d'un certain Elohim, un dieu qui passe dans la brise et qui chuchote. Qu'à cela ne tienne : Jérusalem investie, les chercheurs de dieux dévorent et mâchent les rouleaux de la Torah. Le Sinaï franchi, Koba et ses hordes ensanglantées dévastent les rives du Nil, «le Nil couleur de carnage et d'incendie»... puis rageusement s'embarquent pour la Grèce, à destination du mont Olympe, le repaire des dieux inaccessible aux hommes.
On le sait, c'est surtout à mi-chemin des mythes et de l'Histoire que les dieux ont tendance à pulluler : c'est donc là que Koba inscrit sa guerre personnelle - une guerre totale par laquelle le Guide, à la recherche du Grand Coupable, pourchassant dieux et hommes jusqu'au dernier, devient dieu lui-même. En ce sens, Koba est au-delà de Prométhée, il est lui-même l'injure définitive, l'injure bariolée, hoquetante et inépuisable qu'on fait aux dieux.
Rimbaud du Bateau ivre et des Illuminations renouvelle à vingt ans la poésie moderne et aussitôt l'abandonne; Rimbaud de Charleville, de Londres, d'Aden ou de Harar parcourt l'Europe, les côtes d'Arabie et les déserts d'Abyssinie puis meurt à Marseille en 1891, à l'âge de trente-sept ans, la jambe coupée très haut. L'homme aux semelles de vent, cet infatigable marcheur, mutique et solitaire, aura mené sa courte vie «tout en avant» dans la hâte, l'intransigeance, les quêtes incessantes.Relevant le défi d'Une saison en enfer - «tâchez de raconter ma chute et mon sommeil» -, Alain Borer achève de démontrer l'unité profonde de l'oeuvre et de la vie du poète-aventurier-négociant qui se disait «un piéton, rien de plus».
* « C'était un courriel du capitaine de La Boudeuse, qui naviguait quelque
part au large de l'île de Pâques, dans le même fuseau horaire que la Californie
- telle La Boudeuse de Bougainville, jadis, dans ces parages, à la découverte
d'un nouveau monde : ``Dans quelques jours, nous atteindrons les îles Gambier
au sud des Tuamotu. Tu as le sac aux pieds, alors saute dans le premier avion
pour Tahiti. Là, tu te dégottes un petit avion pour l'atoll le plus au sud des
Tuamotu. Puis tu nous appelles par le satellite pour nous dire où tu te trouves
et on vient te chercher... Ensuite, on remonte ensemble tous les atolls
intéressants (une bonne dizaine éparpillés un peu partout) et on accoste à
Tahiti pour le printemps...'' Ce genre de messages s'adresse à Livingstone en
toi ; à ce qu'il y a de meilleur. Le capitaine de La Boudeuse ne télégraphie
pas à un veau marin. »Dans ce récit, où la découverte et l'imaginaire
s'entremêlent, où la fantaisie poétique s'empare des prosaïsmes, Alain Borer
nous emmène à Tahiti, sur un océan qui n'a de pacifique que le nom.Voyage
initiatique, ce récit, déconcertant et jubilatoire, s'inscrit dans le sillage
des plus grands navigateurs, explorateurs, peintres, poètes et écrivains. *
Alain Borer est poète, critique d'art, essayiste et romancier (spécialiste
mondialement reconnu d'Arthur Rimbaud, auquel il a consacré une dizaine
d'ouvrages). Il a reçu le prix Édouard Glissant 2005 décerné par l'Université
Paris-VIII pour l'ensemble de son oeuvre. Depuis 1995, il est « Visiting
Professor » en littérature française à l'université de Californie du Sud, Los
Angeles.
Icare & I don't, vaudeville métaphysique, se compose de trois pièces organiquement liées : Paul des Oiseaux, Le Chant du rien visible et Le Quadrige invectif.
Quatre personnages - avec pour accessoire suffisant une échelle, retournée en bolide spatial puis en automobile - reviennent dans chaque pièce avec des rôles différents mais analogues.
Paul des Oiseaux, qui reprend un synopsis abandonné d'Antonin Artaud, présente un dialogue sur la « perspective » entre les deux grands maîtres de la Renaissance, Paolo Uccello et Brunelleschi, et un jeune peintre contemporain, Antoniucci ; la seconde pièce raconte ou chante la course intersidérale de deux autres chercheurs d'absolu, Giotto et Bill Halley, qui chevauchent la sonde éponyme (Giotto) de l'Agence Spatiale Européenne à la rencontre de la comète de Haley ; dans la troisième les coureurs s'interpellent comme sur la route du Tour, Richard Mille dans sa Bugatti, Fausto Coppi sur son vélocipède, Pégase et sa jument Let's go Darling - la course du quadrige du soleil contre le temps.
« De toute oeuvre, assure l'auteur, il n'y a au fond qu'une chose à savoir : est-ce qu'elle est abyssale ou pétillante ? » Ces pièces - qui seraient à voir par dessous, en levant les yeux : ce sont des « drames contemplatifs » - réunissent deux types de personnages dramatiques, les icariens (qui chutent magnifiquement) et les dédaliens (qui réussissent le vol mais assistent à la chute). L'ambition de Icare & I don't ne serait rien moins que d'atteindre à un alliage très rare de poésie et d'humour, de légèreté et de profondeur. « En sorte que le théâtre, vu par dessous et s'il était drôle (allegro serioso), pourrait se faire renversant. »
Réédition attendue de cette monographie qui retrace la carrière de l'artiste allemand et met en lumière ses apports majeurs à l'art du XXème siècle.