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Le 1er mai 1829, Pouchkine partit sans autorisation pour un voyage de près de 3000 kilomètres afin de rejoindre l'armée russe qui se préparait à occuper la partie Nord-Est de la Turquie et prendre la ville d'Arzroum (Erzerum). Le poète traversa en calèche, à cheval et à pied toute la Russie, puis le Caucase où vivaient des populations nouvellement conquises par les armées du Tsar, comme les Tchétchènes. C'est à cette époque que commença la longue et actuelle hostilité entre les multiples peuples du Caucase et les Russes.
Pouchkine décrit non seulement les paysages, mais les hommes et leurs moeurs. Sa curiosité est constamment en éveil, il est même d'une grande ouverture d'esprit pour l'aristocrate qu'il est, habitué aux fastes de Saint-Pétersbourg, et rien ne lui paraît plus sain que de passer la nuit sous une tente. Sa témérité est étonnante, car il n'hésite pas à voyager seul parmi une population souvent hostile. Pris d'une témérité insensée, il se précipitera même en première ligne au devant de la cavalerie turque lors d'une bataille, et il fallut le ramener de force à l'arrière. Ses descriptions de Tiflis (l'actuelle Tbilissi), de ses bains, de la population arménienne de Turquie (les Russes prennent alors possession de l'ancien royaume d'Arménie), d'Erzerum d'où il va devoir partir parce que la peste s'y est déclarée, sont passionnantes.
Quand, au bout de près de 2500 kilomètres, il passe enfin la frontière russe, quelle n'est pas sa déception de se rendre compte que ce n'est pas encore cette fois qu'il pourra se dire qu'il a quitté la Russie, même symboliquement, car les territoires dans lesquels il pénètre viennent d'être conquis par les armées russes. Il est probable que ce voyage n'avait pas seulement un but ethnographique, même si Pouchkine savait récolter des informations et des archives sur les lieux des événements historiques, comme il le fit quand il écrivait son histoire de Pougatchev. Ne voulait-il pas partir de la Russie, lui qui en avait une telle envie, mais qui ne reçut jamais l'autorisation de quitter le territoire de l'empire ? Pouchkine publia ce récit des années après son voyage, en 1836, dans le premier numéro de la nouvelle revue littéraire dont il était l'éditeur, le Sovremennik (le « Contemporain »), un an avant sa mort.