Pieter de Hooch (1629-1684(?)), un parmi tant d'autres peintres du siècle d'or néerlandais, qui ont surgi, avec leur manière d'apparence tranquille, d'un peuple se libérant des Espagnols, menant guerre sur guerre?: événement calme au milieu des turbulences. Les arts ont une existence fragile. Il dépend des caprices d'une époque qu'elle transforme les oeuvres dont elle hérite en objets de culture, en reportages sur les moeurs du passé, en manifestes d'une morale, en occasion de plus-value spéculative ou touristique. Lancés dans un monde qui n'a que faire d'eux, les tableaux deviennent des images. Ceux de Pieter de Hooch n'y ont pas échappé. De son temps, Pieter de Hooch répugnait au régime visuel dominant, aux emblèmes moralisants et surtout à l'art officiel de la province de Hollande, copie de l'antiquité romaine, lequel d'ailleurs l'a ignoré, lui et ses immenses collègues. Aussi devons-nous être sensibles au présent de l'art qui n'est ni tout à fait - les tableaux tout juste vernis, l'encre à peine sèche - le présent historique saisi rétrospectivement, ni vraiment l'éternité idéale prisée par une certaine philosophie, mais un autre présent, celui du peindre, pas du peint, la part d'infinitif de toute peinture, d'infinitif présent, qu'on tente de sentir avec les moyens du bord, ceux de notre temps. Comment aimer Pieter de Hooch sans être aux aguets de ses motifs toujours persévérants?: peindre des regards absents perdus dans le vague, des habitudes et des gens dans des intérieurs domestiques que leurs yeux dépaysent, produire un tiers-espace entre celui de la toile et celui du spectateur, figurer une durée momentanée dans des gestes indécis et pourtant familiers, inventer les arrière-cours de Delft comme fait pictural, etc. Tout cela sous le signe d'un dieu égaré dans le règne calviniste, Hermès, ange inspirant la recherche de ces fameux passages par des cadres, portes, porches, fenêtres et trouées, de plus en plus étroits dans le lointain.
George Berkeley (1685-1753), Irlandais, anglican, évêque, philosophe atypique, est célèbre pour la formule esse est percipi : être c'est être perçu.
Cette formule signifie ceci : ce que nous appelons objet ou chose n'existe qu'en tant qu'il est perçu ; seul ce qui a un esprit ou une intelligence perçoit ; l'esprit ou l'intelligence ne perçoit que des idées ; donc ce que nous appelons chose ou objet est une idée qui n'existe que dans (pour) un esprit ou une intelligence qui le perçoit. Identifier l'être et le perçu, rien n'est plus singulier dans l'histoire de la philosophie - même dans celle du sens commun : pour être perçu il faut bien être, d'abord.
Berkeley a laissé de nombreux essais, traités, dialogues philosophiques et sermons. Sa philosophie, appelée immatérialisme, est dirigée contre toutes les formes de matérialisme, en particulier celles qui croient en la substance matérielle. Si matière il y a, elle est un système de signes, un langage.
La puissance et la vigueur de sa pensée ont nourri bien des philosophes. Hume s'en est inspiré pour la critique des idées abstraites et Mill pour l'associationnisme. Emerson y a puisé l'articulation entre la philosophie et la pauvreté, la phénoménologie, des intuitions sur la conscience et le monde, Wittgenstein une philosophie du langage et Bergson la nature des idées.
La philosophie de Berkeley peut offrir à notre temps distrait, où le lien entre le perçu et le percevoir est lâche, des instruments de reconquête de l'attention et de la présence de l'esprit au monde.
Baruch Spinoza (1632-1677), philosophe, grammairien et penseur politique, cartésien immodéré selon Leibniz, a exposé la " Méthode " en lui donnant une forme géométrique rigoureuse, et douté de l'authenticité des livres de Moïse - ce qui lui a valu d'être excommunié de La Synagogue.
On lui doit une théorie de la Substance radicale - Dieu est la seule substance, le seul être, le monde est l'ensemble des modes des deux seuls attributs divins que nous pouvons connaître : étendue et pensée - qui l'a fait passer pour panthéiste.
Comment Spinoza, fils de marchand d'Amsterdam, est-il devenu philosophe ? Comment a-t-il fait de la philosophie avec ceux qui le désiraient ? Comment en a-t-il fait contre ceux qui l'en empêchaient ? Et surtout comment en a-t-il fait avec ceux qui n'en faisaient pas ? Telles sont les questions que l'on a voulu traiter ici, comme pour entrouvrir son oeuvre.
Flaubert appelle style une force rare, une insurrection immédiate, sans programme, insupportable à tout pouvoir même démocratique. Avec Madame Bovary, la force du style joint le projet d'écrire un livre sur rien à la fameuse impersonnalité de l'auteur. On ne devient pas impersonnel tout seul. Ce livre écrit par personne s'écrit donc avec quelqu'un. Avec qui ? On l'apprend ici : avec le mari d'Emma, Charles Bovary, idiot artiste qu'une longue tradition de lecture a manqué.
L'histoire bien connue des Bovary est un livre sur rien, car elle est le mal que l'écrivain s'inocule et par le fait même le diagnostic de la maladie de l'époque, l'illusion de se prendre pour autre que l'on est.
Notre temps est-il aussi malade de nos rapports à la fiction ? Tout a changé. Demeure l'avertissement de Flaubert : dénoncer ne dérange rien sans la puissance d'une singulière médecine, un style.
Roger Federer, joueur de tennis au palmarès unique, réunit tous les attributs actuels de la célébrité sportive mondialisée.
Pourtant sa façon de jouer, son style, sa présence, emmènent le tennis dans une autre direction que celle tracée par les impératifs techniques, économiques et médiatiques. Son jeu révèle une échappée. Il rend aussi sensible un fait plus général : plus le sport est montré, moins il est célébré. Poètes et narrateurs, nécessaires à sa gloire, sont réduits au silence.
C'est à la présence poétique, admirable de Federer que cet essai est consacré.
Cet ouvrage est le témoignage d'un journaliste professionnel. De mai 1955 à juin 1962, il a suivi et couvert les événements qui ont amené à l'indépendance de l'Algérie. André Scala (pseudonyme) est aujourd'hui à la retraite au terme d'une carrière de quarante-deux années. Il a observé un long silence et a tenu à prendre une certaine distance avec les faits qu'il a connus durant sa collaboration au Journal d'Alger. Une guerre qui ne disait pas son nom. Subversive, sans ligne de front. Presque gagnée sur le terrain. Une armée de 500 000 hommes (l'auteur en a fait partie en tant qu'appelé du contingent durant trente mois) face à quelques dizaines de milliers de clandestins, dont la majorité se trouvait cantonnée au-delà de la frontière tunisienne.