Patrice Favre a suivi les traces de son père magistrat. Sorti d'école, il est nommé temporairement juge d'instruction en banlieue parisienne. On observe les débuts de Favre, ses premières audiences au Palais de justice, ses investigations dans le cas criminel où son prédécesseur - Herzog, un magistrat décati, énigmatique - s'est épuisé avant de se donner la mort.
Mais Favre sera bientôt renvoyé à ses dilemmes, à ses choix de vie, à sa propre histoire familiale et au récit national trouble, à toute la comédie sociale qu'il faut jouer pour tenir le rang dans son milieu et son métier.
Roman empruntant parfois au documentaire, manière d'anti-polar, L'instruction questionne avec inquiétude la société française contemporaine à travers le prisme technocratique, judiciaire, carcéral et policier.
Dans la grande tradition des travestissements d'oeuvres canonisées comme on en fait depuis l'âge baroque, le livre propose une adaptation souriante de l'Enfer de Dante où l'invention langagière la plus débridée puise dans l'argot populaire et les archaïsmes français pour composer la « vulgaire parlure », sorte de miroir inversé du « vulgaire illustre » développé dans l'original proto-italien. La contrainte spéciale ici : que la mutation grotesque opérée ne s'exempte pas d'une versification conséquente, et affecte le moins possible le contenu narratif et les enjeux historiques ou intertextuels propres au poème dantesque. En un mot, le rire n'a pas à interdire la poésie, ni la fidélité, pour ne rien dire de la clarté ou de la lisibilité.
En 1996, la cour d'assises du Jura condamne deux réfugiés kurdes, Ahmet A. et Unwer K., à trente ans de prison pour l'un, à la réclusion à perpétuité pour l'autre, pour faits de viol aggravé, assassinat en concomitance, tortures et actes de barbarie sur la personne d'Annie B., une jeune aide-soignante. Seize ans plus tard, le narrateur, jeune avocat souffreteux, se voit chargé par une vieille amie de porter assistance à « ce pauvre Ahmet » qui purge toujours sa peine à la prison de Clairvaux. Celui-ci craint d'être expulsé vers la Turquie après sa libération, ce qui selon lui le condamnerait à une mort certaine. Pas tout à fait sûr de ce qu'on exige de lui, notre narrateur prend connaissance du dossier, sans savoir qu'il met ainsi le pied dans une affaire qui va très vite le dépasser.
Si Récit d'un avocat débute à la manière d'un rapport juridique, le roman glisse rapidement vers une enquête sous le signe de l'inquiétante étrangeté, pour ne pas dire de l'angoisse pure. Bien au-delà du fait divers, ce sont des questions politiques qui émergent : les zones de guerre au Proche-Orient, Daech, l'éternel conflit entre l'État turc et les rebelles du PKK, la migration des populations qui en découle. « «Les sociétés ont les criminels qu'elles méritent», observait en son temps Lacassagne. Se doutait-il que la corporation des criminels peut être assez large pour englober ceux qui les jugent ? » Toujours sur le fil entre fiction et réalité, Antoine Brea signe ici un thriller juridique implacable.
Le Roman Dormant d'où vient-il ? Le Roman Dormant est de partout et nulle part. Un rêve se pose contre la langue quand on s'endort et le Roman arrive. Regarde si tu le sens quand tu t'enfonces dans l'eau noire de ton coeur. Regarde si tu le vois dans l'oeil allumé par la fièvre d'un malade. S'il est présent dans le sang du mouton rendu propre à la consommation. S'il est là dans la lame du couteau qui lave. Regarde si tu te mires dans la lave. Regarde à la surface du rêve. Le Roman se pose aux côtés de ton rêve tout contre le palais. Il allume un feu dans ta bouche tu ne dois pas avaler. Il faudra boire et cracher pour laver. Mâcher de la mie de pain blanc. Le Roman Dormant a rué en moi comme une bête. Si tu l'avales il fait de toi un animal. Il s'enfonce jusqu'au profond des veines qui mènent partout et nulle part.
Dans Simon le mage, l'enfer a pour ainsi dire commencé, ici-bas et maintenant, parmi des vivants qui n'en ont que le nom, pris dans un monde où tout a le goût du sang. Brea passe le quotidien au crible de cet enfer dantesque. Ainsi de ces gueules patibulaires croisées tout au long de la journée, sur les quais de métro ou dans les allées des supermarchés, qui dessinent une sorte de purgatoire facial.
Afin de diluer un peu le poison et d'atténuer les tensions, l'angoisse maladive pendue à l'arbre du jardin, je me rince la bouche à petits coups de saké dans l'appareil ; j'en renverse un peu partout et c'est interdit mais je vais quand même pas conduire
Ça n'allait pas très fort. Quelqu'un était en train de me forer le crâne à la perceuse électrique et toujours ces stroboscopes blancs et éclatés qui me percutaient la cornée en saccades. Je suais à grosses gouttes et mes dents claquaient malgré la chaleur insupportable. Le véhicule a grimpé le trottoir sablonneux sans ralentir et est venu mourir à la lisière du bois en faisant crier les graviers. Je me suis concentré quelques secondes pour ne pas gerber. Plus rien. Le décor avait cessé de se mouvoir. J'ai longuement expiré en clignant des yeux, les lèvres sèches, et je me suis tourné vers l'otage. Immobile, il fixait le pare-brise sans conviction. Son visage blême sous ses cheveux gris lui donnait un air cadavérique. Visiblement, il se rendait compte de l'état dans lequel j'étais et ne savait pas trop quoi en penser. Était-ce favorable ou non à sa survie? On devinait une intense activité cérébrale derrière les larges lunettes d'acier et les traits durs et froids.