« Braine vient de passer trois mois dans un hôpital militaire. Il a été gravement commotionné. Il peut de nouveau dire, lire et écrire son nom. Il va rentrer à la maison. Lily l'attend. Il est de retour. Il arrive. Souhaitons-leur de vivre enfin heureux. »
« L'histoire est classique du buveur désintoxiqué qui, après des années d'absolue sobriété, s'autorise soudain un petit verre. Juste un petit verre. Et replonge. À fond. Mais l'on ne se soûle pas que d'alcool. Parfois on ne retombe que pour mieux ressusciter. Retourner à son vice, à son démon - à son art - ouvre de somptueux vertiges, interdits aux repentis. Voyez Simon Nardis, le nouveau personnage de Christian Gailly. Il a suffi d'un soir au club, un petit club de province, pour qu'il se remette à la vodka... et au jazz.
Dix ans plus tôt, pianiste renommé, il avait abandonné pour "raisons de santé". Il était devenu bon mari, bon père, bon spécialiste du chauffage industriel, n'écoutant plus que de la musique classique : "À défaut de swing il se gavait de beauté." .
Ayant une heure à tuer avant de rentrer chez lui par le train, il accompagne dans le club un ingénieur dont il vient de dépanner l'usine. Et, d'entrée, il est secoué. Dans l'excellente façon de jouer des trois jeunes musiciens américains, il reconnaît... son style. Un "style qui avait pas mal chamboulé la pratique du piano en jazz".
Pendant la pause du trio il se met au clavier. La patronne du club le "reconnaît" à son jeu. Bientôt elle le rejoint sur l'estrade, se penche vers lui, reprend la mélodie au vol. Et c'est le bonheur qui revient. Fulgurant. La nuit qui suit et le lendemain, entre cet homme "près de la retraite" et cette femme "qui avait bien l'âge qu'elle ne faisait pas" va s'amplifier et se concrétiser ce bonheur. Jusqu'à se vouloir éternel. Et la femme de Simon dans tout ça ? Elle arrive. En voiture. N'en disons surtout pas plus. Il serait criminel de dévoiler ne serait-ce qu'un soupçon de la suite de l'intrigue, elle-même criminelle. À sa façon. » (Jean-Pierre Tison, Lire).
Un soir au club a reçu le prix du Livre Inter en 2002.
Début août, dans un site montagneux, près d'un lac, deux hommes, un jeune et un vieux, s'ignorent.
L'un cherche du travail. l'autre a trouvé une maison pour les vacances, il emménage. ils ne peuvent donc pas se rencontrer. sauf si le jeune trouve du travail, c'est la première condition. la seconde, ce serait que le vieux ait besoin des services du jeune. en vacances, normalement, non. c'est pourtant ce qui va se passer. comme si c'était écrit. ça l'est, mais ce n'est pas aussi simple. il y a des femmes dans cette histoire.
Imaginez. Il ne vous reste que deux jours à vivre. Qu'est-ce qui est préférable ? Finir tranquille dans l'ennui qu'aura été toute votre vie ? Ou bien, si vous êtes musicien, comprendre enfin pourquoi votre musique vient d'être huée et, dès le lendemain, rencontrer celle qui devrait être votre dernier amour ?
« Ultime partition amoureuse d'un compositeur proche de la mort, récit tragique et léger : le douzième roman de Gailly est tout simplement parfait. Dernier amour est la suite exacte d'Un soir au club, ou plutôt l'histoire de ses effets sur un romancier plus souverainement musical que jamais. Tout cela tient bien sûr à peu de choses, et touche donc à l'essentiel : la vie, la mort, le piano.
Paul Cédrat est compositeur de musique dite contemporaine. Le quatuor Alexander doit interpréter, un soir dété à Zurich, son Quatuor à cordes, opus 12, entre une pièce de Haydn et l'Opus 131 de Beethoven. Paul est dans la salle, c'est la minute de son uvre, et c'est aussitôt le flop : l'assistance marque son mécontentement, il faut précipiter l'entracte, il ne reste plus qu'à passer à Beethoven. Et à mourir. Car Paul est trop maigre et très malade, aussi s'en va-t-il agoniser au bord de la mer.
Avec la facilité d'un pianiste qui n'a presque plus besoin de jouer, ou alors seulement quelques notes, Gailly se permet une sorte d'improvisation au bord du gouffre : des silences, beaucoup de vide, quelques motifs et deux ou trois couleurs. À peine un roman, en vérité : quelque chose comme l'ébauche d'une chanson, l'équivalent littéraire tout juste murmuré de It Was a Very Good Year, le chef d'uvre de Sinatra sur lequel tombe Paul à la radio. Mais du Sinatra joué par un Bill Evans très fatigué : tragique et léger, merveilleusement syncopé, attrapant sa vie comme une mélodie impossible à sauver, et se sauvant bien sûr par elle. » (Fabrice Gabriel, Les Inrockuptibles) Dernier amour est paru en 2004.
Une nuit alors qu'il est au lit dans le noir et somnole la radio allumée, la musique de Mozart s'insinue dans la chambre et le réveille. L'émotion est si forte qu'il a peur de la perdre, de ne jamais pouvoir la revivre. Il se procure différents enregistrements de l'oeuvre, les écoute, mais chaque fois quelque chose manque, il ne retrouve pas le plaisir de cette nuit-là. Puis un jour il apprend que le concerto va être donné à Paris. Il décide de s'y rendre.
Retrouver une émotion, tel est le projet que poursuit Christian Gailly, ou son narrateur, dans K.622. Il le poursuit en vain mais s'il ne parvient pas à éprouver pleinement une joie ou un plaisir perdus, à jamais enfuis, il s'en approche et il fait partager au lecteur, non pas les affres, mais les moments heureux et imprévus de cette recherche . Ce n'est pas cela, c'est presque cela ! On en est très près ou, le plus souvent, très loin. Comment en irait-il autrement puisqu'il s'agit d'une émotion musicale, infiniment subjective, semble-t-il, que le narrateur a ressentie, un soir d'hiver, en entendant à la radio le Concerto pour clarinette en la majeur de Mozart. Son chiffre apparaît en bleu sur la couverture du livre : K.622.
Il l'entendait pour la première fois, et c'est devenu pour lui un évènement fondateur, comme une révélation de la beauté, un instant unique et privilégié. Comment le ressaisir ou le retrouver ? Même s'il est persuadé de la vanité de son effort, le héros de Christian Gailly s'y emploie cependant avec une sorte d'acharnement moqueur. Car c'est le ton du récit : l'émotion déjouée ou tournée en ridicule par celui qu'elle gagne et qui s'en défend : suis-je bête !
Il n'a pas noté le nom des interprètes et s'égare chez divers disquaires, acquiert finalement trois versions du fameux concerto, l'une d'elles au fond d'une boutique obscure où la vendeuse écoute le disque avec lui " dans la pénombre parcourue de volupté sonore "... Une émotion qui s'ajoute à la première sans la remplacer. Mais cette femme presque invisible, qui partage son écoute, est un personnage qu'on n'oublie plus.
D'autres apparaissent dans les marges du récit, telles Janine et Lucienne, vendeuses dans un grand magasin. Le narrateur apprend que le concerto de Mozart va être joué à Paris. Pour assister à ce concert, il a besoin d'un costume, de chaussures, d'une chemise assortie. " Je n'ai rien à me mettre ", se dit-il : dès lors le voici changé en personnage de roman dont nous suivons les mésaventures burlesques.
Si le lecteur croit s'éloigner du sujet principal, il se trompe, ces digressions y participent à leur façon, elles font parties du récit, elles s'intègrent comme des obsessions mineures à une obsession majeure. Elles insèrent l'émotion dans l'espace réel et accidenté où elle se meut, où elle se fraie un chemin souvent détourné et oublieux. L'écriture de Christian Gailly mime à merveille cette dérive secrètement orientée.
Georges Anex, Journal de Genève Christian Gailly est né en 1943.
Elle n'avait pas prévu qu'on lui volerait son sac à la sortie du magasin.
Encore moins que le voleur jetterait le contenu dans un parking. Quant à Georges, s'il avait pu se douter, il ne se serait pas baissé pour le ramasser. Tout pilote connaît la consigne : après chaque vol, il faut remplir le livre de bord. Remplir le livre de bord, telle est donc, en bonne logique, la dernière phrase d'un roman qu'on découvre étonnamment semblable à un numéro de voltige aérienne, avec préparation au sol, envol, figures et atterrissage en finesse.
Un art de l'arabesque que Christian Gailly cultive avec une virtuosité croissante. Cela commence par un sac à main arraché près de la place Vendôme, un jour de canicule. Un... vol inaugural, en quelque sorte. On apprend ultérieurement l'identité de la victime : Marguerite Muir, quarante ans. Un peu plus tard encore, on découvre celle-ci dentiste. On sait aussi qu'elle possède un brevet de pilote, depuis que Georges Palet, cinquante-huit ans, a retrouvé ses papiers, jetés sur le parking de l'hypermarché Continent, à L'Hayles-Roses, Val de Marne.
Autre information : celui qui raconte est un familier de Marguerite et pratique lui-même le pilotage. Mais sur ce chapitre, on n'en saura jamais davantage. On nous révèle incidemment que Georges Palet se trouve assigné à résidence et privé de droits civiques. Des histoires avec des femmes. Peut-être même un meurtre. Autre détail, qui ne sera dévoilé qu'à l'approche de la fin, la vedette masculine du roman de Christian Gailly se passionne pour les avions de combat et ne rate aucun film de guerre...
Jean-Claude Lebrun
Le jeune Jérémie Tod ressemble trop à son père.
On va le lui faire payer. En pleine rue, on le fait battre par un policier. Un homme, Théo Panol, intervient. Maladroit, il tue le policier. Il est arrêté, jugé et condamné : trente ans de réclusion. Ses amis décident de le faire évader. Les chances de réussite sont à peu près nulles. Ils vont quand même essayer. Les Évadés est un inextricable entrecroisement d'histoires d'amour, d'histoires d'amour présentes et passées, d'histoires d'amour agonisantes et larvées, d'histoires d'amour réelles et chimériques, les personnages étant liés sans exception par des liens sentimentaux aussi vifs qu'incertains.
Nous pourrions dire tout simplement que Christian Gailly, avec ce roman, enferme dans l'espace clos d'une petite ville une communauté d'individus sans illusion, qu'il les suit chacun avec la même attention, la même acuité, la même cruauté, et qu'il les anime comme un marionnettiste.
Un homme roule sur une route de campagne. Il rentre chez lui. Il est presque rendu. C'eût été trop simple : une voiture arrive en face, c'est celle de son ami Lucien mais, quand il la croise, Lucien n'est pas à l'intérieur, c'est une femme qui conduit, une inconnue au visage flou, dominé par le rouge. Qui est-elle ? Et Lucien, où est-il ? Et ce rouge, qu'est-ce que c'est ? Du rouge à lèvres ? De la confiture ? Du sang ? On dirait des peintures de guerre. Des larmes et du sang, voilà bien ce que promet le beau titre du nouveau roman de Christian Gailly - le dixième, déjà. Nuage rouge, c'est l'annonce de ciels peints, chargés d'un orage que la prose ne cessera de remettre, éludante et dilatoire, sournoisement enjouée. C'est aussi l'invention, peutêtre, d'une forme originale de fiction : le polar bègue. Bègue, le narrateur l'était avant que ne commence son histoire, que ne se délie sa langue de témoin - héros, il ne le sera de rien, pas même du fait divers assez sordide qui sert d'intrigue à ce livre saisissant. Fabrice Gabriel, Les Inrockuptibles Les personnages de Christian Gailly sont, plus que jamais, de son propre aveu, des égarés. A l'image de Rebecca Lodge, l'héroïne danoise de Nuage rouge, qui, « sans perdre de vue le soleil et l'amour », finit par s'égarer, un après-midi d'été, sur une petite route de la campagne vendéenne. Multiples variations sur un même geste, oscillations infinies, art, merveilleusement affiné, de la suspension. Christian Gailly emporte définitivement le coeur. Jean-Noël Pancrazi, Le Monde La structure des romans de Christian Gailly, presque toujours celle du roman policier, repose sur quelques dispositifs, récurrents, qui sont en même temps des non-lieux, dans lequel l'individu ne s'inscrit que de manière provisoire, voire aléatoire : l'hôtel (ici à Copenhague), la voiture (ici arrêtée, dont la panne institue le brouillage de l'histoire), la prison (ici l'exact hors -lieu du livre). Ainsi les mystères, qui font l'objet de la nonchalante enquête du narrateur, se règlent sur ces ancrages absents : la nécessité intervient autrement, en lieu et place de ce qui ne serait sinon qu'une bonne histoire sans plus, remplissant un programme attendu, répondant aux questions suivantes : que faisait donc cette voiture arrêtée sur le bord de la route ? Pourquoi cette femme dans la voiture de Lucien sans Lucien ? Où est passé Lucien ? « A pied quelque part sur la route, en train de marcher ? A terre, blessé ? Ou mort mais où ? » Il y a toujours une histoire plus importante que celle qu'on est en train de raconter, constate l'auteur-narrateur-personnage de Nuage rouge. Cette histoire qui s'impose comme un écran à la fin du livre et dont le scénario terrible est raconté deux fois, vient illustrer une théorie sur les crimes propres et les pas propres. Elle ne vise pas à illustrer ou allégoriser l'histoire racontée dans le roman mais se met à sa place, comme si on écrivait toujours quelque chose à la place d'autre chose.
Tiphaine Samoyault, La Quinzaine littéraire
Une femme et un homme. C'est tout simple. La femme doit remplacer la cartouche de son stylo. L'homme, lui, doit se rendre chez un vieil ami. Donc tout les sépare. Ils ont pourtant quelque chose en commun. Le métro.
Anna l'avait prévenu. S'il arrive quelque chose à Suzanne, je m'en vais. Immédiatement. Définitivement. On ne voulait plus de lui, il ne veut plus de cette vie. Et, au moment même où il croyait finir, voilà qu'il trouve l'envie de tout recommencer.
La Passion de Martin Fissel-Brandt est paru en 1998.
Réparer une roue. Penser à un cadeau d'anniversaire. Confectionner un gâteau, etc. Bref, toujours aimer une femme. Ne pas rompre immédiatement. Tenter de la retrouver avant qu'il ne soit trop tard.
Une grande cour sépare les deux ailes du château.
Dans l'une d'elles, la gauche en regardant le portail de l'extérieur, une femme joue du piano en attendant le réveil de son mari.
Dans l'autre aile, la gauche en regardant le portail de l'intérieur, un homme hante la chapelle en attendant le retour de ses forces.
Le fils, lui, assemble des modèles réduits en attendant de pouvoir s'envoler.
Le jour où il s'envole il se fait descendre.
Sa chute obligera la mère à laisser son piano.
Quant au père, lisons plutôt.
L'Air est paru en 1991.
Elle n'avait pas prévu qu'on lui volerait son sac à la sortie du magasin. Encore moins que le voleur jetterait le contenu dans un parking. Quand à Georges, s'il avait pu se douter, il ne se serait pas baissé pour le ramasser.
Une correspondance, qui est un plaisir de lecture, entre deux figures importantes de la littérature contemporaine : Christian Gailly, écrivain du «groupe des éditions de Minuit», et Gérard TitusCarmel, écrivain, poète, peintre, aux multiples facettes.
L'histoire d'une amitié courant, au fil de ces laettres échangées durant l'été 1993, vers sa fin - non sans être traversée, malgré tout, «d'éclairs de chaleurs», de traits d'humour, d'admirations partagées.
Une plongée dans l'atmosphère romantique du Winterreise de Franz Schubert, dans les pas de deux amis, fins mélomanes; qui, s'ils ne parlent pas toujours directement de musique, n'en font pas moins sentir l'essence de ce chant singulièrement moderne, chant de la solitude et de l'errance inexorables.
Un récit inédit de Gérard Titus-Carmel en guise d'introduction: hommage posthume, émouvant, sincère, à son ami Christian Gailly, qu'il n'a jamais revu après leur rupture en 1993, bien que sa présence continue à l'habiter secrètement.