Clément Rosset a voulu publier à titre posthume ce recueil de récits « intimes » où sa personnalité ne transparaît pourtant pas, mais plutôt quelques-unes de ses manies ou celles de ses proches, et surtout son humour.
S.E.
Sur l'existence (ou sur l'être, ou sur la réalité) les paroles les plus profondes et les plus définitives sont le fait d'un penseur, Parménide, qui passe paradoxalement et peut-être injustement pour avoir été le principal inspirateur de l'interminable lignée de philosophes qui, de Platon à Kant et de Kant à Heidegger, nous ont enseigné à suspecter la réalité sensible au profit d'entités plus subtiles :
Il faut dire et penser que ce qui est est, car ce qui existe existe, et ce qui n'existe pas : je t'invite à méditer cela.
« Voici un écrivain de la pensée. Ses livres sont brefs, clairs, insolites, insolents, en retrait. Il commence par dénoncer l'inaptitude au réel dont fait preuve l'endémique folie humaine, son dégoût inné pour la simplicité, son attirance pour les complications inutiles. D'accord en cela avec Montaigne, Pascal, Spinoza et Nietzsche, il démonte ce désir constant de
tromperie et de croyance romantique à l'irréel qui semble être la grande passion moderne. Il y a, dit-il, de tout temps, une inclination spontanée au double, une préférence accordée à ce qui n'existe pas plutôt qu'à ce qui existe. C'est le chichi précieux ou métaphysique, prêt à tout pour éviter ce qui est. »
Philippe Sollers, Le Monde
L'objet absolument singulier est incapable de décliner son identité, puisqu'il n'est rien qui lui soit identique : il est à la fois unique et étrange, et pour la même raison.
Tel est le monde dans son ensemble : " un être unilatéral dont le complément en miroir n'existe pas " (ernst mach). et telle est la réalité en général, composée d'objets singuliers, ensemble indéterminé d'objets non identifiables. objets proprement indescriptibles, mais d'autant plus évocateurs du réel que la description en est plus malaisée. ainsi, par exemple, les objets du rire, de la terreur, du désir, du cinéma, de la musique donnent-ils lieu à d'étranges et exemplaires appréhensions du réel.
« Ce petit livre est consacré à une dernière (je l'espère pour moi et pour mes lecteurs) tentative d'analyse et de description de la joie de vivre et de la joie d'exister. » Clément Rosset
Pendant que des médecins travaillaient à me maintenir en vie, à la suite d'une noyade qui aurait dû finir fatalement, j'ai vécu, ou rêvé, ou halluciné, des aventures si extraordinaires que l'idée m'est venue d'en rapporter au moins quelques-unes.
Du plaisir d'écrire à la joie de vivre, et inversement.
Du plaisir des mots au plaisir tout court, et vice versa.
Le choix des mots est affaire sérieuse. il signale toujours une certaine forme d'adoption - ou de refus - des choses, d'intelligence ou de mésintelligence de la réalité.
Ce livre a pour point de départ l'idée de répondre brièvement à deux objections qui m'ont souvent été faites.
La première porte sur le sens précis que je donne au mot de " réel ". la seconde sur mon refus de prêter l'oreille à tout propos ou pensée de nature morale. la première enquête, sur le réel, m'a amené à un examen radioscopique de la tautologie qui s'est révélée à l'analyse moins simple - et moins simplette - qu'elle n'en a l'air. le secret de la tautologie, qu'on pourrait appeler son " démon ", au sens d'ensorcellement et de cercle magique, est que tout ce qu'on peut dire d'une chose finit par se ramener à la seule énonciation, ou ré-énonciation, de cette chose même.
C. r.
Ce livre est la réunion et la mise au point des textes que j'ai, depuis une trentaine d'années, consacrés à la question du réel et de ses doubles fantomatiques. Il développe ainsi un sujet unique, qu'on peut définir comme l'exposé d'une conception particulière de l'ontologie, du « savoir de ce qui est » comme l'indique l'étymologie du mot. Ma quête de ce que j'appelle le réel est très voisine de l'enquête sur l'être qui occupe les philosophes depuis les aurores de la philosophie. A cette différence près que presque tous les philosophes s'obstinent à marquer, tel naguère Heidegger, la différence entre l'être et la réalité commune, sensible et palpable alors que je m'efforce pour ma part d'affirmer leur identité. Clément Rosset
«Rêvé cette nuit que le miroir ne me reflétait plus.En le scrutant attentivement, j'arrive pourtant à deviner ma physionomie de l'autre côté du miroir, à l'état d'ombre lointaine.Serais-je engagé dans ce que Deleuze appelerait un devenir-vampire ?»Clément Rosset.
Une étude des différentes figures du double, conçu comme marque d'irréalité et principal facteur d'illusion, telle que je la mène depuis longtemps, serait incomplète sans une brève exploration des domaines de l'ombre, du reflet et de l'écho.
Car, et contrairement aux doubles porteurs d'illusion, ces doubles de " seconde espèce " sont des garants de la réalité des objets dont ils constituent l'environnement forcé, quelque fugitif et parfois inquiétant que celui-ci puisse sembler. la littérature nous enseigne depuis longtemps ce qu'il en coûte d'être privé de son ombre ou de son reflet et, pour parodier la fontaine, qu'à lâcher l'ombre on perd aussi la proie.
Comment transformer en corps hétérogène et incomplet une collection d'énoncés donnée dans la subjectivité sinon en décomposant l'ensemble des règles qui les produisent, de façon à infirmer leur compatibilité, établir leur désordre, ineffectuer leur puissance, c'est-à-dire : étendre, par l'exercice de la syntaxe, l'inactualité de leur suite, afin de diminuer leur quantité jusqu'au point où se dissipe le réel ? C'est là l'une des quelques questions auxquelles le présent écrit tente de répondre.
Les Mexicains adorent la musique et les flonflons. Ainsi qu'il arrive je crois dans tous les peuples du monde, il suffit d'une danse pour les rendre insensibles à ce qui les tracasse ordinairement : le sentiment du rien, le doute identitaire, l'ombre de la mort.
J'ai effectué en février 2009 un séjour au Mexique d'où j'ai rapporté quelques textes inspirés partiellement par des conférences que j'avais prononcées au Collège de Mexico et à l'Université de Zacatecas. Ce sont ces textes qui se trouvent rassemblés dans le présent recueil.
« La parution récente du livre posthume de Louis Althusser, L'avenir dure longtemps suivi de Les Faits (Éditions Stock / IMEC, 1992), m'incite à noter, comme en marge, quelques souvenirs et réflexions sur une période et un homme que j'ai connus à la fois de très près et de très loin. De très près, car j'étais, de 1961 à 1965, élève à l'École normale supérieure et, comme philosophe, directement en contact avec Althusser qui assurait, assez "théoriquement" il est vrai - non au sens althussérien mais au sens courant du terme - la préparation au concours d'agrégation de philosophie. De très loin, car j'étais complètement indifférent à l'effervescence intellectuelle qui régnait alors à l'École et autour de la personne d'Althusser, dont je décidai immédiatement de "sécher" les cours, moins par mépris de ceux-ci que par refus instinctif de m'associer au petit groupe de ceux qui les suivaient.
L'alliance, chez Althusser, de la plus extrême lucidité et de la plus totale folie - alliance "contre nature", j'y reviendrai, qui fait d'Althusser un cas, au sens où l'on parle d'un "cas Wagner" ou d'un "cas Nietzsche" - m'a paru digne de réflexion. Ce cas est en effet doublement instructif, éclairant d'un même coup de projecteur ce qu'il peut y avoir de plus raisonnable et de plus insensé dans le fonctionnement du cerveau humain. » Clément Rosset Cet essai est paru en 1992.
Rien de plus fragile que la faculté humaine d'admettre la réalité, d'accepter sans réserves l'impérieuse prérogative du réel. Cette faculté se trouve si souvent prise en défaut qu'il semble raisonnable d'imaginer qu'elle n'implique pas la reconnaissance d'un droit imprescriptible - celui du réel à être perçu - mais figure plutôt une sorte de tolérance, conditionnelle et provisoire. Le réel n'est généralement admis que sous certaines conditions et seulement jusqu'à un certain point : s'il abuse et se montre déplaisant, la tolérance est suspendue. Un arrêt de perception met alors la conscience à l'abri de tout spectacle indésirable. Quant au réel, s'il insiste et tient absolument à être perçu, il pourra toujours aller se faire voir ailleurs. Cet essai vise à illustrer le lien entre l'illusion et le double, à montrer que la structure fondamentale de l'illusion n'est autre que la structure paradoxale du double. Paradoxale, car la notion de double implique en elle-même un paradoxe : d'être à la fois elle-même et l'autre.
TLors de sa premicre publication, en 1965, cette Lettre donna lieu ´r des réactions contradictoires et souvent cocasses. Certains esprits crédules, n'ayant pas flairé la supercherie, penscrent que je prenais sérieusement le parti, au sens politique du mot, de nos amis singes. D'autres, tout aussi peu perspicaces, y décelcrent des intentions de vilaine nature et me félicitcrent de prendre la défense de valeurs occidentales menacées, selon eux, par l'influence grandissante des populations de couleur. Il ne s'agissait pour moi que de me distraire aux dépens d'un certain nombre de catéchismes betifiants qui faisaient autorité dans l'intelligentsia française de l'époque.
Il me semble - et c'est pourquoi je me décide ´r republier cet écrit - que ces catéchismes n'ont pas cessé d'etre d'actualité [...]t Clément Rosset.
« Tout est foutu, soyons joyeux ». « Rassurons-nous, tout va mal ». Voilà les maximes préférées de Clément Rosset, telles des remèdes à notre époque contemporaine angoissante. Il nous apprend à nous foutre de tout et à rester joyeux malgré notre condition de mortel, à être capable d'embrasser gaiement l'existence pour accéder à la sagesse et au bonheur, à écarter toute raison de désespérer.
Clément Rosset a accordé une quinzaine d'entretiens à Alexandre Lacroix pour Philosophie magazine entre 2006 et 2017. Ils ont fourni la matière de ce livre en huit chapitres, qui permettent de faire un premier pas dans la pensée de ce grand homme. Philosophe de la joie et du tragique, mais non pessimiste, Clément Rosset défendait une vision incarnée de la philosophie, loin de l'image du penseur dans sa tour d'ivoire. Il défendait surtout un réalisme absolu et radical. Pour lui, seul le réel existe.