Si on veut, c'est Marseille et on l'appelle Mahashima.
Legudo, ce sont les Goudes.
Et Manosque se dit Manosaka.
Les collines, en tout cas, n'ont pas beaucoup changé.
À Mahashima, longtemps capitale d'un royaume sans importance, Ryoshu mesure son bonheur de vivre heureux dans une ville heureuse.
Un matin, il se met tout de même en marche pour aller revoir, non loin, les paysages de son enfance. En suivant le rivage, en gravissant les collines, il se remémore la période de troubles qui a marqué sa jeunesse, puis ce caprice du pouvoir à l'origine de la plus belle saison qu'on ait connue : le déplacement de la capitale, quand Mahashima fut subitement abandonnée par les puissants.
L'histoire a peut-être lieu dans le futur, mais on y voit des pans entiers de notre époque, des clans guerriers, comme dans le Japon médiéval, et une lumière qu'on avait oubliée.
C'est un monde renversé sans violence, ou presque, et qui retrouve son équilibre en ayant renoncé à durer toujours.
Daily Express, 4 septembre 1945 : « Personne ne sait encore pourquoi Sonia A., une artiste espagnole de vingt-trois ans, a chuté mortellement de 80 pieds sur le pavé de Queensway, Bayswater.
Hier matin, elle a passé un appel téléphonique depuis l'immeuble. Quelques minutes plus tard, elle gisait nue et mourante dans la rue. ».
Quand on a vécu son enfance dans une absolue liberté et que l'entrée dans l'âge adulte ne s'est assortie d'aucun harnais, d'aucune obligation ni désir de servir, de consacrer les bonnes heures du jour au travail, aux soins des enfants ou des animaux, alors la faim de liberté se déplace, elle mute, elle trouve aussitôt d'autres murs à quoi se heurter, d'autres insuffisances : la société, bien sûr, la liberté qu'on n'a pas d'y faire ceci, d'y être cela, mais aussi la limitation du corps et la limitation de l'esprit. Poursuivant un désir à quoi rien ne saurait répondre, Sonia amorce un envol qui n'aura pas de fin.
L'homme qui venait de franchir la frontière, ce 23 juillet 1873, était un homme mort et la police n'en savait rien. Mort aux menaces, aux chantages, aux manigances. Un homme mort qui allait faire l'amour avant huit jours.
En exil en Suisse, Gustave Courbet s'est adonné aux plus grands plaisirs de sa vie : il a peint, il a fait la noce, il s'est baigné dans les rivières et dans les lacs. On s'émerveille de la liberté de ce corps dont le sillage dénoue les ruelles du bourg, de ce gros ventre qui ouvre lentement les eaux, les vallons, les bois.
Quand il peignait, Courbet plongeait son visage dans la nature, les yeux, les lèvres, le nez, les deux mains, au risque de s'égarer, au risque surtout d'être ébloui, soulevé, délivré de lui-même.
De quel secret rayonnent les années à La Tourde- Peilz, sur le bord du Léman, ces quatre années que les spécialistes expédient d'ordinaire en deux phrases sévères : Courbet ne peint plus rien de bon et se tue à force de boire ?
Ce secret, éprouvé au feu de la Commune de Paris, c'est la joie contagieuse de l'homme qui se gouverne lui-même.
Cet ouvrage a reçu un des sept Prix suisses de littérature 2014, le Prix Marcel Aymé 2013, ainsi que le Prix Thyde Monnier de la SGDL 2013.
L'écrivain et critique David Bosc tente dans ce court texte de penser le rapport singulier que les écrivains peuvent entretenir avec le langage. Son texte s'ouvre sur l'adage fameux de Nicolas Boileau, selon lequel «?Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement?». Cette affirmation est d'emblée mise en regard d'autres citations qui constituent autant de témoignages d'écrivains sur leur expérience. David Bosc, en lecteur et en écrivain, entre en dialogue avec ces voix plurielles et s'interroge avec elles sur la place de l'intention et du rythme dans l'écriture, sur ce qui peut pousser à écrire, ou sur ce qu'on peut entendre ou désigner par auteur ou créateur. Il se fraie un chemin à travers des mots dont il fait entendre toute l'épaisseur de sens : celui d'instance, par exemple, qui serait peut-être plus juste que celui d'auteur pour penser la création. Il fait ainsi résonner, dans ce tissage de voix d'autres «praticiens» et penseurs, , et ce depuis leur singularité, une expérience commune de l'écriture, celle d'un non-savoir, et d'une aventure qui relève moins d'une intention maîtrisée que d'un perdre pied au sein du langage. Ce texte reprend une conférence prononcée au Banquet du livre d'automne de Lagrasse, le 29 octobre 2016.
Un enfant intouchable auquel, en 1201, on fait l'infamant cadeau de la liberté (car personne n'en veut, à cette heure, et le mot lui-même ne fait rêver que les fous). Frédéric de Hohenstaufen a huit ans, il court les rues de Palerme, ville arabo-normande :
On y aimait tant les différences qu'on en inventait quand, faute de vent, il en venait moins.
Honoré Mirabel, valet de ferme à Saint-Jean-du- Désert, affabule la découverte d'un trésor. Après avoir échappé au tremblement de terre de 1708, à Manosque, puis à la grande peste de 1720, il veut éprouver s'il est possible d'échapper aussi à sa condition - et de jouir, comme il imagine que d'autres le font, du passage du temps.
« Moi, j'ai toujours été pour l'égalité », dit Miguel Samper, un maçon d'Arganda, et il part. C'est l'été de 1936. Il va s'enrôler à Madrid et rejoint le front du côté de Tolède. En permission à Valence, il ouvre les yeux sur la crapulerie des appareils et déserte. Mais il garde au coeur l'idée qu'il faut se battre pour les copains, pour le matin du monde.
À Marseille, le 31 décembre 2002, un petit groupe d'anarchistes en habits de pirates se lance à l'abor- dage d'un bateau-restaurant. La nuit venue, ils gagneront les collines pour donner un feu d'arti- fice aux détenus de la prison des Baumettes. Denis, qui les accompagne sans être vraiment des leurs, qui aime les fraternités de rébellion mais veut demeurer sans aveu, prend par la main Mathilde et l'arrache à sa meute, à sa communauté.
Enfants de rois, de paysans ou de bourgeois, les personnages de ces quatre récits ont ouvert sur le monde des yeux de premier homme : l'ordre des choses, ils entendent l'éprouver, en restant sourds aux « vérités éternelles ». Ce sont alors des assauts et des ruses, des solidarités intempestives et de soudains dégagements. Liberté, égalité, fraternité :
Les vieilles lunes sont décrochées avec tout le décor, et les voici qui se rallument, fragiles, toutes neuves, à hauteur de regard, sur le visage de n'importe qui.
À rebours d'une certaine tendance de la littérature contemporaine au minimalisme, Sang lié s'impose d'emblée par son lyrisme, son souci de la beauté de la langue. C'est le récit d'une initiation, de la découverte merveilleuse et douloureuse du monde après l'adolescence, des barrières de toutes sortes auxquelles on se heurte et qu'il est plusieurs manières de contourner ou de franchir. L'alcool d'abord, avec ses dérives nocturnes qui bouleversent le paysage urbain. La révolte, la solitude, le refus du monde et de soi, emprisonnent le narrateur dans toute la première partie du livre, âpre et violente. Le ton change dans la seconde partie, l'atmosphère s'éclaircit avec la découverte que l'amour est possible. Loin des confessions cyniques et complaisantes à la mode, David Bosc livre sur la rencontre entre deux êtres des pages qui viennent rappeler que "l'amour fou" des surréalistes est toujours d'actualité et qu'il est sans doute la clef de résistance à l'oppression que nous fait subir quotidiennement la société contemporaine.
Un homme d'une quarantaine d'années, Milo, s'installe dans une maison familiale, située dans les Bouches-du-Rhône et abandonnée depuis longtemps. Il y vit en marginal, travaillant au noir à l'écart des habitants du village. On le découvre hanté par des cauchemars fratricides et le souvenir d'une ancienne compagne. Parce qu'il refuse d'avoir un enfant avec celle qu'il aime et qui le lui demande, Milo a fait délibérément un pas de côté par rapport au cours logique de l'existence. En opposant un refus radical au destin qui lui semblait assigné, Milo s'aventure, tel un funambule sur le fil fragile de l'existence, en quête d'une vie nouvelle.
Milo pourrait s'apparenter à un roman d'apprentissage. Or, de cheminements hasardeux en errances volubiles, c'est à un roman de la reconstruction que le lecteur s'avère convié.
" les journées sont courtes et le soir, j'ai cinq heures à passer tout seul avant d'aller au lit.
Je serais heureux de parler avec les fermiers ou les boutiquiers, mais pas un seul ne parle anglais. un chien serait de meilleure compagnie que le vicaire, que je connais de longue date. que puis-je faire, sinon écrire toutes les choses qui me passent par la tête ? " holyhead, le 26 septembre 1727.
"Les sculptures de Zaric nous invitent à découvrir un univers dans lequel l'homme et l'animal se métissent. Cet anthropomorphisme est mis au service d'une oeuvre qui évoque, la fragilité, l'amour, la méditation, l'espoir, le déracinement, la vanité, l'éros. Emprunt d'une force qui puise aux sources des mythologies et de l'esthétique antique, Zaric livre un miroir du monde plein d'humour grinçant et enchanteur." Pierre Starobinski
Qu'est-ce que la littérature pour David Bosc? Ça consiste à célébrer soukkot, la fête des cabanes: «Lorsque, toujours provisoirement, on quitte son logis pour s'inventer une précarité, pour se mettre à la merci des avanies, des joies, des surgissements, et que l'on fabrique une structure à la fois neuve et archaïque, avec des branches - et ce qu'il faut de crottin de cheval.» Dans ce texte prononcé à l'occasion de la remise du Prix Dentan, l'auteur de Mourir et puis sauter sur son cheval dévoile avec humour, un bâton de colle et une bonne quantité de crottin et de branchages sa vision d'une littérature qui est aussi affaire de bricolage.
En parallèle, les dessins Philippe Fretz démontent et remontent en 11 vignettes des cabanes tout aussi bricolées à base d'encre de chine, de mousse et de fumée pour un petit volume «qui n'a qu'une hâte, qu'une idée en tête, et c'est d'y accueillir un invité de choix - une folle, un fuyard, le Christ ou le premier venu.»