« Je suis un sentimental. C'est une sorte de faiblesse, je sais, une sorte de maladie, je sais. Vous en riez ; vous pouvez bien en rire, ça m'est complètement égal. Je ne suis pas un mou, je ne suis pas un lâche, je ne crois pas, je suis seulement un sentimental : je n'aime pas les murs. C'est un défaut, je sais, mais je n'ai pas le choix. Je n'aime pas les murs. Je ne dis pas les vieux murs, pierre de taille et fissures, je ne dis pas les murs irréguliers, leurs interstices inégaux, mousses et mortiers, tous les jeux de la lumière à leurs surfaces, non, je dis les murs que certains croient bon de dresser entre eux et moi, entre eux et vous, entre eux et eux, et ces murs-là sont de béton, lisses et inaltérables, ils ne se laissent entamer par rien, c'est du moins ce qu'ils prétendent, il leur faut ça pour se protéger, c'est du moins ce qu'ils croient ; moi je les soupçonne d'être plus fragiles et plus faibles que moi, je suis un sentimental pourtant, tenez, je me demande si derrière leur mur, à chaque fois, ce ne serait pas par hasard un sentimental qui se cache et se réfugie. Un sentimental qui s'ignore. Ou un sentimental qui se méfie de lui-même plus encore que de vous ou de moi. »
" L'amour a toujours besoin de preuves. La mort, elle, s'en passe aisément. Aux aguets sans cesse épiant les signes de ce qui m'attend ". Sans complaisance ni faux-fuyants, proses et poèmes nous parlent de l'expérience de la disparition.
Chez Ibsen, et plus encore dans la version renouvelée que François Debluë propose ici de «La Dame de la mer», le monde est peuplé de fantômes anciens qui portent secrets et douleurs. Le poète lémanique rend sensible la part sombre d'Ellida, son amour caché pour le Marin, l'Étranger, à qui elle avait donné sa parole. Il donne une dimension inédite au mari médecin et à la pathologie de sa femme. Avec François Debluë, le bonimenteur atteint à la fonction critique du choeur antique. Et il met aussi l'accent sur des personnages capables d'un exceptionnel dépassement d'eux-mêmes.
Publié à l'occasion du 400e anniversaire de la naissance du peintre (1606-1669), auquel d'importantes rétrospectives seront consacrées en 2006, Conversation avec Rembrandt inaugure également une collection vouée au dialogue entre les arts : " Passage des arts ".
En 2005, une anthologie publiée aux Éditions Seghers (La Poésie en Suisse romande depuis Blaise Cendrars) a permis au lectorat français de découvrir les poèmes de Français Debluë, écrivain né en 1950 et récemment couronné par le prix Schiller. Un an après cette publication, cet écrivain nous donne à lire un livre magistral.
Le livre de François Debluë est essentiellement consacré aux autoportraits du maître du clair-obscur. À travers eux, l'écrivain nous offre une biographie fragmentée, partiale et passionnée du peintre qui le fascine.
Les autoportraits de Rembrandt constituent un phénomène majeur de la peinture du XVIIe siècle. Peintures à l'huile, gravures et dessins à l'encre représentent un peu plus de quatre-vingts variations répertoriées et authentifiées à ce jour. Une dizaine de ces oeuvres seront reproduites en couleurs dans l'ouvrage.
Cette Conversation avec Rembrandt est moins l'oeuvre d'un historien de l'art que l'oeuvre d'un poète, moins un livre sur Rembrandt qu'un livre avec Rembrandt.
Le livre de François Debluë est né de véritables rencontres avec le regard du peintre : regard que l'artiste porte sur lui-même, images de soi-même et de l'autre, jeux de miroirs, conversation par-delà l'espace et le temps, face-à-face par lesquels Je devient un autre, quand l'autre fonde notre identité. En évoquant les autoportraits de Rembrandt, le poète se livre à une méditation sur le temps et dévoile, en creux, les linéaments de son art poétique.
Trois ou quatre siècles nous séparent.
Et pourtant tu me parles.
Et je te parle, comme à un autre moi-même.
Tout le monde a entendu parler de la mort et de la résurrection de Lazare. C'est Jean l'évangéliste (et lui seul) qui rapporte cet ultime miracle réalisé par le Christ. Ce prodige, considéré comme un sacrilège par les autorités religieuses de son temps, vaudra au Christ d'être crucifié dans les jours suivants. Ce qu'il advint par la suite de Lazare demeure une énigme. Rien n'indique qu'il ait eu droit à la vie éternelle.
Comment a-t-il survécu ? Dans quels tourments et dans quelles joies ? Quand et comment est-il mort ? C'est à partir de ces questions insolentes que François Debluë engage sa rêverie. Il élabore en toute liberté un récit d'une grande originalité, au-delà des dogmes et des clichés. Il reconstitue une époque et un climat, en adoptant souvent le point de vue de Lazare, en lui prêtant des interrogations des passions - remords et plaisirs neufs ! Il l'accompagne enfin jusqu'à sa seconde mort, pour le moins troublante.
" Sensible au poids des mots ", selon sa propre formule, François Debluë, né en 1950, est un poète dont la voix interrogative sait se teinter d'un humour subtil.
Ce recueil met en résonance plusieurs textes. Il s'ouvre avec le soleil écrasant de " L'embarquement ", sous lequel un père regarde son enfant partir pour la première fois. Il se termine avec la nuit, les mystères du rêve et de la mémoire. A la charnière, trois poèmes disent le passage des heures et invitent à suivre les ombres de l'enfance.
Onze variations autour de ce thème, toujours sincères mais ironiques, où l'on découvre comment les mots peuvent véhiculer ou taire un message sous-jacent, comment l'activité peut se faire l'abri du rêveur. On voit successivement un esprit vagabonder alors qu'il est à l'écoute d'un autre, ou s'égarer tout en se révélant dans les rêveries nocturnes. On voit surtout, au travers de métaphores, le pouvoir et le jeu de la polysémie : dans des flagorneries susceptibles de cacher de discrets persiflages ; dans la manière dont l'écriture épistolaire se nourrit de l'imagination de l'auteur ; dans la façon dont un mot échappe parfois, ou sonne à la porte tard dans la nuit sous la forme du Pierrot de la chanson ; dans la manière dont un compliment qui touche vient enfin mettre un mot sur les dévouements minuscules. Un écho subtil et lointain à Jean-Jacques Rousseau et à Robert Walser.