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Ivan Gontcharov
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Partisan de la position allongée, Oblomov ne trouve le bonheur que dans le sommeil. Ni son ami Stolz, incarnation de l'énergie et de l'esprit d'entreprise, ni la belle Olga avec qui se nouera l'embryon d'une idylle, ne parviendront à le tirer de sa léthargie. Entreprendre et aimer sont décidément choses trop fatigantes. Grand roman de moeurs, Oblomov offre une satire mordante des petits fonctionnaires et des barines russes. La première partie du texte constitue un véritable morceau de bravoure, irrésistible de drôlerie, décrivant les multiples tentatives toutes vouées à l'échec d'Oblomov pour sortir de son lit. La profondeur du roman et la puissance du personnage d'Oblomov n'ont pas échappé à des philosophes comme Levinas. L'inertie du héros est moins une abdication que le refus farouche de tout divertissement. L'humour et la poésie sont au service d'une question que Gontcharov laisse ouverte:et si la paresse, après tout, était moins un vice qu'une forme de sagesse?
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Inédit en français, le Portrait de Monsieur Podjabrine fait le récit des tribulations d'un séducteur infatigable. Epicurien de pacotille, Monsieur Podjabrine est d'une vanité et d'une superficialité qui le rendent presque touchant. Difficile de savoir s'il prend plus de plaisir à triompher auprès de demoiselles rarement farouches, qu'à narrer ses exploits à ses amis : reste qu'aucune de ces jouissances ne lui évite d'être proie autant que chasseur. Avec drôlerie et vivacité, Gontcharov, dix ans avant son chef-d'oeuvre Oblomov, dépeint le Saint-Pétersbourg des oisifs, des viveurs et des petits rentiers. Lucide, caustique, il s'abstient de toute complaisance, sans jamais céder à la tentation de moraliser.
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L'originalité de Gontcharov réside dans le fait que son oeuvre échappe à tout esprit de chapelle, d'école et d'esthétique littéraire. Rompant avec le sentimentalisme et le romantisme alors en vogue, elle s'appuie sur la seule description du réel, du paisible bonheur d'être et de vivre à l'image de son auteur, génie littéraire incontesté dont l'existence fut celle, assez banale, d'un fonctionnaire impérial, qui vécut en se tenant, comme l'écrit Jacques Catteau dans sa préface, « hors jeu de l'histoire ». L'ennui, le flegme, la mélancolie, la paresse, l'éloge de l'inutile sont les thèmes dominants de son oeuvre maîtresse Oblomov comme de tous ses autres écrits.
Considéré comme un texte capital par Tolstoï, Oblomov est devenu un mythe littéraire au même titre que Faust, Don Quichotte ou Don Juan. C'est l'histoire d'un aboulique qui rêve d'une existence « sans nuages, sans orages, sans ébranlements intérieurs », le barine Ilia Ilitch Oblomov, un doux rêveur sensible. Malgré ses efforts pour contrecarrer ses rêves de grasse matinée permanente, malgré l'énergique Stolz qui secoue la torpeur de son ami, malgré son amour passion pour Olga - l'espace d'un été, Oblomov accomplira son destin : le renoncement à l'agitation extérieure, la reconstitution de l'univers de son enfance dans un quartier aux confins de Pétersbourg et, en fin de parcours, la mort d'inaction et de suralimentation. Sans tapage, sans ostentation, calmement, avec résignation. et bonheur : « Il s'installait doucement, petit à petit, dans le cercueil simple et large où il allait passer le reste de ses jours, cercueil fait de ses propres mains à l'instar des sages du désert qui, après avoir renoncé au monde, se creusent une tombe. » Malgré ce final nostalgique, le roman est celui de la recherche obstinée, souterraine, du bonheur au fil des événements quotidiens de chaque journée vécue en position horizontale, où la vie et la société défilent tel un spectacle théâtral dans la chambre du héros. Oblomov parvient à imposer sa volonté d'être, comme son for intérieur le lui dicte. Il réussit ce qu'il ne faudrait pas réussir, être enfin soi-même en dépit des autres, de l'image que proposent normes, morale, société et Histoire. Il refuse de bouger, fidèle, indéfectiblement, à l'immobilité des premiers jours. « Oblomov est le conte d'un rêve exaucé. » ajoute Jacques Catteau.
Dans La Frégate Pallas, Gontcharov relate un voyage autour du monde, à partir des lettres envoyées à ses amis. Un périple qui le conduit d'un continent à l'autre, au temps lent et envoûtant de la marine à voile. Toute la force romanesque et la puissance suggestive de ce livre reposent sur la vigueur des portraits, la beauté et le plaisir des voyages, l'évocation de la vie maritime, de ses charmes et de ses périls. On y retrouve le mélange de finesse, de placidité et d'humour qui font toute la singularité de l'oeuvre de Gontcharov.
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" Vif et bref, le premier roman connu d'Ivan Gontcharov (1812-1891), l'auteur d'Oblornov, a pour héroïne une jeune femme désemparée depuis qu'elle a perdu quelque chose qui lui tenait à coeur.
Quoi ? Elle le dit à l'officier de police qui finit par la recevoir : " Mon mari. " Et quand on retrouve celui-ci, c'est en mauvais état, tout à fait mort, le visage écrabouillé mais toujours l'alliance au doigt. Cela ne fait pas l'affaire de l'héroïne. D'autant que, comme le lecteur, elle est traitée avec une certaine ironie par Gontcharov, c'est bien triste de tomber amoureuse pour perdre l'objet de son amour.
"On en parle dans tous les romans. Lisez-les donc, et laissez-moi poursuivre mon récit " Mathieu Lindon, Libération.
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Après avoir lu les premiers chapitres, l'auteur se leva et proposa de faire une pause. Les auditeurs quittèrent leur place en silence, comme s'ils réfléchissaient aux commentaires qu'ils devaient faire des premiers chapitres ; et ils ne dirent rien ; l'un s'adonnait à de petits bâillements, l'autre se dégourdissait les jambes, seule madame Lilina, qui affichait un sourire resplendissant, répétait «très joli», et la jeune comtesse, la demoiselle Siniavskaïa, les yeux humides, plongea son regard dans celui de sa mère, serrant bien fort sa main, et toutes deux se levèrent du canapé.
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La Terrible maladie, publiée par Gontcharov en 1838 dans un almanach privé, a été retrouvée assez récemment. Elle est le cadre de la première apparition du type d'Oblomov, l'éternel fatigué, qui rendra célèbre Gontcharov. Elle relate un épisode de la vie de la société aristocratique pétersbourgeoise, atteinte de langueur chronique et succombant à un étrange mal, badin d'apparence mais qui la mènera néanmoins à une issue fatale. Écrite dans l'esprit de Gogol, ce joyau de la littérature russe est d'une très grande drôlerie.
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- La vodka est sur ma table. Toute personne qui entre ici se dirige directement vers elle... - Et vous, Ivan Ivanovitch ? - Moi aussi : personne ne boit sans moi. On grignote à la fortune du pot - du caviar, de la ventrêche de nelma, des harengs. Voyez-vous, nous avons toujours ici nos propres mets et ceux venus d'ailleurs, en deçà de l'Oural... Eh bien Voilà, on grignote et on boit. C'est comme ça qu'on fait des affaires.
Il arrive aussi que le docteur Dobrotvorski vienne ici : il n'est pas bête au point de refuser un petit verre de vodka, mais face à moi il ne fait pas le poids ! Au douzième ça fait beaucoup pour lui, beaucoup oui, et au quinzième il prend du retard : moi, je continue. Ensuite, on va déjeuner chez l'un ou chez l'autre, et il y a de nouveau de la vodka... - Vous arrivez à un total de combien de verres par jour, Ivan lvanovitch ? lui ai-je demandé, les yeux largement écarquillés.
- Oh, une trentaine, une quarantaine. Vous savez, après le déjeuner, il y a le dîner, donc encore de la vodka ! Et en une journée, ça s'accumule.
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Qu'est-ce qui décide Ivan Gontcharov, l'auteur de l'inoubliable Oblomov, le sceptique, l'apathique quadragénaire, à embarquer par un matin d'octobre 1852 sur une vieille nef de la marine russe pour un voyage qui durera plus de deux ans et demi ? Sans aucun doute, une passion aiguë, suscitée à l'enfance, pour la mer et les grandes expéditions, de même qu'un besoin encore inassouvi d'émerveillement.
Vestiges de l'enfance aussi, ce regard spontané, fin, jamais blasé et qui confère toute leur force aux observations consignées dans la Frégate Pallas. Sans héroïsme ni romantisme, d'un ton égal, souvent humoristique, Gontcharov nous rapporte ce qu'il voit : des scènes de la vie quotidienne qui l'ont intéressé, amusé, voire agacé, des terres nouvelles à peine découvertes, sans oublier l'art culinaire, abondamment décrit à chaque nouvelle escale.
L'aventure est là mais aussi l'Histoire. Le grand écrivain dresse ce qu'on appellerait aujourd'hui un état du monde, en plein milieu du XIXe siècle, et les historiens retiendront ses pages sur l'hégémonie de la machine britannique, sur l'Afrique du Sud en formation, sur Singapour et son essor, sur la Chine et ses craquements, et surtout sur le Japon qui, du fond de sa féodalité, lorgne déjà sur la modernité occidentale.
Les passionnés d'histoire diplomatique et maritime verront également que les deux grandes puissances mondiales de notre siècle, l'Empire russe et les Etats-Unis d'Amérique, étaient déjà rivales en Extrême-Orient et dans le Pacifique. Dans ce chef-d'oeuvre qu'est La Frégate Pallas, Gontcharov nous convainc et nous charme par le naturel de ses représentations, de ses opinions et de ses goûts. On garde de cette lecture " une grisante impression d'excellente littérature, d'humour et d'art ", comme le dit l'écrivain Iouri Olécha.
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Attention, la présente édition Édition Librairie Didier et Cie Paris 1877 reprise du site Gallica, ne correspond pas au texte intégral, apparemment (ainsi, la version intégrale traduite par Luba Jurgensen et parue chez en 1988, est un livre de 475 pages...)
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