«Chaque été, je passe mes vacances au bord de la mer - c'est une nécessité pour moi - et chaque jour je consulte l'horaire des marées. Basse mer, pleine mer, marée basse, marée haute, marée montante, marée descendante, grande marée. Ces mots, à eux seuls, me donnent à rêver.
Quand la mer se retire, je vois des estivants, parents et enfants, s'avancer sur la plage qui s'allonge mètre après mètre jusqu'à rendre la mer au loin à peine perceptible, elle se confond avec le ciel. Ils vont à la recherche de coquillages.
Je me dis que ces coquillages, ces coques, ces palourdes, ces moules en grappes, ces bouts de bois rongés par le sel marin, ces morceaux de corde tombés d'un bateau de pêche, figurent ce qui est déposé dans ma mémoire : de petits restes - comme ils me sont précieux! - qui seront tout à l'heure recouverts par la marée haute mais qui réapparaîtront, ceux-là ou d'autres, quand la mer de nouveau se retirera.
Marée basse, marée haute, cette alternance est à l'image de ma vie, de toute vie peut-être.
La vie s'éloigne, mais elle revient.»
Celle qui échappe, celle qui s'accroche, les passantes, les étrangères, les séductrices, les séduisantes, nausicaa, la gradiva, mademoiselle albertine, madame de s, la femme de putiphar, lady chatterley, la sultane, la recluse, l'éplorée, l'inconnue.
Passions dévorantes, chastes amours, séparations, déclins. une succession de courts récites, à la fois légers et profonds, qui se font écho et qui disent tout le bonheur et la douleur d'aimer.
Oublions un instant que J.-B. Pontalis est le coauteur du célèbre Vocabulaire de la psychanalyse. Ce qu'il nous propose aujourd'hui est un vocabulaire privé, un lexique à usage personnel, une invitation à en fabriquer un pour soi, le plus intime.Ici, il fait davantage confiance à la rêverie qu'au discours maîtrisé. Il commence par un éloge des fenêtres et conclut par celui des clairières. Des pensées, des moments, des rencontres sont évoqués sous la forme d'images venues du rêve, de mots venus du divan et souvent de brèves histoires qui sont autant de petits romans : vieille dame qui a perdu sa mémoire, l'homme fâché avec ses organes, le nom d'une fleur, une dormeuse, un livre dont une phrase vous a saisi. C'est la saveur de l'enfance, le souvenir et l'oubli, le goût de vivre et le chagrin, des larmes aux sanglots.À chaque page, on s'étonne d'une telle précision pour rester au plus près du sens, sans sacrifier l'émotion, la sensibilité, la nostalgie d'un «pays natal» à jamais introuvable.
Les chambres closes d'où filtrent des odeurs bizarres et le cabinet de l'analyste où la parole se trouve en se perdant. Le cahier noir où vient échouer l'amour et le coup de téléphone d'une vieille dame. La villa des grandes vacances, ses jeux et ses rites que la mort vient troubler. La rencontre avec Sartre en classe de philosophie et celle de Lacan dix ans plus tard. Le Cours H honni et le lycée bien-aimé. Les villes étrangères. Les petits métiers.Autant de lieux et d'événements évoqués ici dans le désordre de la mémoire - «C'était quand déjà ?» - et sous l'influence du présent. Autant de séparations et de commencements que trace et retrace le mouvement inachevé des mots, eux-mêmes séparation et parfois commencement.
L'amitié : comment elle naît, puis se tisse, se renforce et parfois se dissout d'elle-même ou s'achève par une rupture ? Les amitiés : il en est qui traversent le temps, d'autres qui sont éphémères et pourtant intenses.
En une vingtaine de courts chapitres, alliant réflexion et histoires personnelles, ce livre, qui tient à la fois du roman et de l'essai, tente de cerner le rôle de l'amitié. Nous sert-elle à nous protéger des tourments de l'amour ? Si l'on en croit La Fontaine, " un ami véritable est une douce chose ". Mais existe-t-il ailleurs qu'au pays imaginaire du Monomotapa ?
«Quand il nous arrive de dire "C'était mieux avant", sommes-nous des passéistes en proie à la nostalgie d'une enfance lointaine, d'une jeunesse révolue, d'une époque antérieure à la nôtre où nous avons l'illusion qu'il faisait bon vivre? À moins que cet avant ne soit un hors-temps échappant au temps des horloges et des calendriers.
Je me refuse à découper le temps.
Nous avons, j'ai tous les âges.» J.-B. Pontalis.
«Il nous faut croiser bien des revenants, dissoudre bien des fantômes, converser avec bien des morts, donner la parole à bien des muets, à commencer par l'infans que nous sommes encore, nous devons traverser bien des ombres pour enfin, peut-être, trouver une identité qui, si vacillante soit-elle, tienne et nous tienne.»J.-B. Pontalis.
«Quel est l'enseignement que nous délivre la psychanalyse - je veux dire l'expérience, l'épreuve de l'analyse ou, ce qui revient au même, l'épreuve de l'étranger - au point qu'on peut le tenir pour son enseignement principal et peut-être le seul ? C'est que le temps ne passe pas.»Voilà ce que ce livre voudrait rendre sensible plutôt que de justifier par des arguments et des preuves. Il se propose d'expliciter la fameuse et énigmatique affirmation freudienne selon laquelle l'inconscient ignore le temps - tout comme nos mémoires n'ont pas d'âge -, ou encore ce que Pascal Quignard a décrit sous le nom d'une «cinquième saison» échappant au temps mesuré de nos calendriers.
«À moins de trente ans, J.-B. Pontalis a déjà vécu ou pensé dans l'intimité de trois hommes illustres considérés comme des maîtres dans leur discipline et leur temps, Louis Renault, Sartre, Lacan. Philosophe, psychanalyste, grand lecteur, éditeur. Et Écrivain. Tôt occupé par le bonheur et la douleur d'aimer, subjugué par le secret de fabrique du rêve, collectionneur des contrées de l'absence, traqueur d'obscurité, il se tient en sentinelle, à l'affût de chaque vacillement, de tout surgissement. Mieux encore qu'écrire, admirablement, il veut s'écrire. Il invente l'autobiographie, de brefs récits, comme autant de petits romans où la parole se trouve en se perdant, dans le désordre de la mémoire.» Martine Bacherich.
Ce livre explore les principales modalités de ce que Freud, dans une de ses toutes premières définitions de la psychanalyse, a appelé le «royaume intermédiaire». Autant de variantes de l'entre-deux : entre le masculin et le féminin, entr le savoir et le fantasme, entre l'enfant et l'adulte, entre le mort et le vif, entre le hors de soi et la présence de soi. La vie psychique est ici décrite comme oscillant entre deux pôles : l'expérience du rêve, cet événement de la nuit d'où peut naître la parole, et la connaissance de sa douleur qui fait silence ou cri. Quinze études où s'écrit le trajet d'une pensée qui se tient moins dans l'abri d'une théorie constituée qu'aux confins de l'analysable.
« Quand le second est né, le premier s'est écrié : "Comme il est moche !"
Le premier faisait rire la mère, le second jamais.
Du premier, on disait qu'il était nerveux, du second qu'il était quasiment muet.
Quand le second eut quinze ans, le premier lui fit découvrir la littérature.
Quand, à la même époque, ils vont se promener ensemble dans la ville, il n'y a plus de premier et de second. Ils diffèrent l'un de l'autre mais portent tous les deux la même canadienne. C'est l'hiver, l'air est vif, ils marchent d'un bon pas.
Le cadet vient de retrouver quelques lettres qu'il a reçues de l'aîné. Certaines débordent d'affection, d'autres sont pleines de fiel. »
«L'homme qui dort se nomme Constantin. C'est un Empereur romain, un conquérant, un guerrier sans merci. Son sommeil paraît paisible, bien qu'il doive livrer bataille le lendemain... À côté de l'homme qui dort, un tout jeune homme assis. Un serviteur sans doute, qui n'a pas de nom. Une sentinelle, mais qui s'abandonnerait à sa propre rêverie. Il est le dormeur éveillé. Sa tête penchée s'appuie sur sa main. Cette scène représentée par Piero della Francesca se situe à la frontière de la nuit et de l'aube, du sommeil et de l'éveil, du songe et de la rêverie... Le livre dont j'écris ici les premières lignes, j'aimerais qu'il devienne quelque chose comme une mémoire - donc une fiction - rêveuse, qu'il soit une traversée d'images, de souvenirs, d'instants, qu'il ressemble à la rêverie à laquelle s'abandonne le dormeur éveillé, avant que l'excès de clarté n'y mette fin. Il sera bien temps alors d'affronter le jour.» J.-B. Pontalis.
Au commencement était l'acte. Cet acte était la mise à mort du père selon Freud, du frère selon la Bible.
Ce commencement est sans fin.
Nous aurons beau nous écrier : ' Plus jamais ça ! ', les faits ne cesseront de nous démentir, de montrer la vanité de nos cris. Les faits sont têtus, disait cet entêté de Lénine.
La violence est souveraine. Partout, dehors, visible, étalée au grand jour. Partout, dedans, cachée, tapie dans l'ombre d'où elle est prête à surgir.
La passion meurtrière, qu'elle soit collective ou individuelle, la rage de détruire, l'amour de la haine ne connaissent pas de limites. Face à la démesure, nos instruments de mesure sont défaillants.
Trois essais : le premier porte sur le rêve, ou plutôt le « rêver », à partir d'un roman insolite ; le second sur le transfert, ou plutôt les transferts, à partir de Freud ; le troisième, à partir d'une expérience personnelle, sur l'attrait qu'exerce les mots.
Trois figures de l'altérité, de notre étranger intime, qui disent la force d'attraction qu'exerce sur nous la chose même, à jamais hors d'atteinte.
Ce livre pourrait avoir pour épigraphe le conseil donné jadis par le peintre Caspar David Friedrich : « Clos ton oeil physique afin de voir d'abord avec l'oeil de l'esprit. Ensuite fais monter au jour ce que tu as vu dans la nuit. »
« Ce livre fait écho à En marge des jours paru en 2002.
Comme lui il est composé de fragments, comme lui il a trouvé son point de départ dans de brèves notes que j'inscris parfois dans mes "Cahiers privés". Mais ici sont évoqués ce que Victor Hugo dans Choses vues appelait des "événements de la nuit" : des rêves qui redonnent vie aux amis disparus, des rencontres qui, même si elles ont lieu le jour, ont quelque chose d'insolite, des moments d'inquiétante étrangeté où notre identité vacille, ou encore ceux où l'on se demande : "Qu'est-ce que je fais là?" La présence de la mort à venir va de pair avec l'attrait pour la vie, avec l'inlassable curiosité qui anime l'enfant avide d'explorer ce qui l'entoure.
À cet enfant je donne un nom : Alice ».
«Pour quel obscur motif ce mot Limbes dont je prolonge la première syllabe et qui paraît se tenir à mi-chemin entre le clair et le sombre exerce-t-il sur moi un tel attrait? Souhaiterais-je séjourner dans le limbe des enfants? N'aimerais-je que les pensées à l'état naissant qui se refusent à être cernées? Serais-je épris de ces rêves qui tiennent lieu de réalité? Ne serais-je touché que par ceux qui n'ont pas une identité bien assurée, qui ne sont pas ce qu'ils sont ou croient être, et alors les femmes, plus que les hommes, seraient ces êtres-là, incertains, insaisissables, celles qu'on ne saurait baptiser, celles qui seraient toujours en attente d'on ne sait trop quoi?»
«L'autobus vert est arrivé, celui qui va à la Bastille, s'arrête au Père-Lachaise, a son terminus place Gambetta. L'homme monte, après un moment d'hésitation. Les portes en accordéon se referment. Il disparaît parmi les passagers, avec un singulier sourire, comme s'il voulait, lui dont je jurerais qu'il ne possède rien, se faire du premier venu un ami avant de le quitter, ce sourire en retrait de ceux qui partent, sont déjà ailleurs, un sourire dont j'aimerais croire qu'il s'adresse à moi, qui reste là, en arrêt, sur un trottoir mouillé de pluie.Pourquoi ne l'ai-je pas suivi ?Soudain toute la ville n'est plus comme lui qu'un fantôme.»
«Ce livre, recueil de textes pour la plupart publiés dans la revue de Sartre Les Temps modernes au cours des années cinquante où je découvrais la psychanalyse, ne peut se lire aujourd'hui sans être relié à mon évolution personnelle. Je ne crois pas pourtant avoir été le seul de ma génération à avoir tenté de jeter une passerelle, qui m'apparaît maintenant bien fragile, entre l'«existentialisme» de Sartre et le «structuralisme» de Lacan.Différents à coup sûr, ces deux-là, ces deux monstres d'intelligence, ces deux possédés du langage, ces deux êtres ignorant la mesure ; opposés même en tous points. N'empêche ! «Sacré Sartre», «sacré Lacan», disaient de l'un et de l'autre ceux qui les connaissaient. Deux grands séducteurs, mais qui n'ont jamais réussi à se séduire, et voilà que je rêvais de les faire intellectuellement se rejoindre, comme pour provoquer une rencontre aussi aberrante que celle, inventée par Maldoror, d'une machine à coudre et d'un parapluie, tout en étant bien résolu à ne pas servir de table de dissection.Critiques, parfois polémiques, premières étapes d'une formation psychanalytique, ces essais, divers par leurs thèmes manifestes comme par les auteurs évoqués, gravitent autour d'une question latente : qu'est-ce que vivre, qu'est-ce que penser après Freud ?»
«Ne pas dater ces fragments. Ils sont pour moi en marge du temps qui passe, de la chaîne du temps. Même quand ils évoquent une circonstance, une rencontre, une lecture d'autrefois, ces circonstances, rencontres, lectures sont mon présent.Je sors ces fragments des marges de ma mémoire, elle-même fragmentée, lacunaire, pour les porter non au centre - personne n'a en lui de centre ou du moins ce centre introuvable n'occupe jamais le même lieu -, mais pour qu'ils viennent au jour du vif aujourd'hui.»J.-B. Pontalis.
Le plus insupportable dans la perte, serait-ce la perte de vue ? Annoncerait-elle, chez l'autre, l'absolu retrait d'amour et, en nous, l'inquiétude d'une infirmité foncière : ne pas être capable d'aimer l'invisible ? Telle est la question que déploie ce livre qui s'ordonne selon trois axes. Il décrit d'abord quelques formes du refus de la perte - de l'apathie à la réaction thérapeutique négative en passant par l'amour de la haine. Il analyse ensuite les modalités de la croyance pour reconnaître l'essence «profane» de la psychanalyse. Il insiste enfin sur la mélancolie active du langage qui, en s'éloignant du visible, porte en lui la défaite du culte de l'image. Les chemins empruntés sont divers. Le lecteur y rencontre le doux Oblomov et la Gradiva rediviva, Sarrte et André Breton, Freud et Winnicott, le curieux oiseau de Léonard et les mots incertains de l'autobiographie. Si la psychanalyse est ici tout au long présente, ce n'est pas comme regard théorique mais à l'horizon, à perte de vue : là où nos yeux ne pouvant plus rien saisir transmettent leur trouble à la pensée.
Le Schizo et les langues de Louis Wolfson est certainement l'un des livres les plus fascinants des années soixante-dix.
Ces « Mémoires », écrits en français par un jeune schizophrène new-yorkais, auraient pu connaître le destin confidentiel d'un document psychopathologique. Mais c'eût été sans compter sur le récit qu'ils recèlent : Wolfson y raconte comment, pour échapper à sa langue maternelle, il a mis au point un procédé linguistique ultra sophistiqué lui permettant de convertir, le plus vite possible, l'anglais en une autre langue, faite de mots français, allemands, hébreux ou russes, équivalents du point de vue du sens et de la sonorité.
Dès l'arrivée du manuscrit, ce livre, qui sera publié avec une préface de Gilles Deleuze, va provoquer une véritable effervescence intellectuelle et littéraire, dont on peut encore percevoir l'écho aujourd'hui.
Que s'est-il joué là exactement ? L'heure était venue de rouvrir le « dossier Wolfson ».
Le Laboratoire central réunit neuf entretiens et exposés de J.-B. Pontalis entre 1970 et 2012, dont certains inédits, en réponse des questionnements sur les rapports de la psychanalyse et de la littérature (" De l'inscrit à l'écrit ", entretien avec Pierre Bayard), mais aussi, en arrière-fond, explicitement parfois, sur le lien entre psychanalyse et politique (" Détournements ? ", entretien avec Marcel Gauchet). Ce titre - Le Laboratoire central - est en hommage à Max Jacob, que l'auteur a connu avant son internement en camp. Le " laboratoire central " est l'entretien que le psychanalyste a avec ses patients, avec ses collègues et avec lui-même, où il fait travailler ce à quoi il tient et croit, centralement, tout en cherchant à se mettre en difficulté, à " penser contre soi ". Avec ces échanges loyaux où il ne craint pas d'épouser les vues adverses, avec les visées inattendues et fortes qu'il prête à l'autre, avec le dérangement en lui-même d'une pensée autre, J.-B. Pontalis sait mettre cent fois sur le " métier " l'ouvrage d'une réflexion qui a traversé le dernier demi-siècle, continue d'être centrale, et n'a cessé de compter bien au-delà du cercle des psychanalystes.
Ce récit retrace l'expérience d'un dépaysement. Une ville étrangère en est le lieu : Mymia. Des femmes en sont l'instrument : Alix et Angèle, et d'autres, venues de plus loin, du temps immémorial de l'enfance.Le dépaysement est d'abord vécu dans un sentiment de vacance et de légèreté. Il vire progressivement au malaise, à la dépossession de soi, à l'exil. Les séjours, réels ou imaginaires, dans la maison natale sont également marqués par le «loin».Loin dit aussi l'éloignement du temps. C'est plus de vingt ans après l'épisode de Mymia que le héros s'en fait le narrateur. Il rouvre ainsi à son insu une plaie qu'il croyait fermée.
«Quel est l'enseignement que nous délivre la psychanalyse - je veux dire l'expérience, l'épreuve de l'analyse ou, ce qui revient au même, l'épreuve de l'étranger - au point qu'on peut le tenir pour son enseignement principal et peut-être le seul ? C'est que le temps ne passe pas.»Voilà ce que ce livre voudrait rendre sensible plutôt que de justifier par des arguments et des preuves. Il se propose d'expliciter la fameuse et énigmatique affirmation freudienne selon laquelle l'inconscient ignore le temps - tout comme nos mémoires n'ont pas d'âge -, ou encore ce que Pascal Quignard a décrit sous le nom d'une «cinquième saison» échappant au temps mesuré de nos calendriers.