Je vous écris d'Auschwitz « Mes chers, je suis dans un camp de travail et je vais bien... » Voici les quelques mots expédiés depuis Auschwitz par près de 3 000 juifs de France, attestant l'existence d'une correspondance entre les déportés à Auschwitz et leur famille entre 1942 et 1945. Ces lettres-cartes, écrites sous la contrainte, faisaient partie d'une vaste opération de propagande, la Brief-Aktion, qui visait à rassurer leurs proches et dissimuler l'horreur. D'autres lettres, clandestines celles-ci, ont pu entrer et sortir du camp et dévoilent l'enfer concentrationnaire. Sont rassemblées ici aussi des lettres écrites dès la libération du camp, preuves de survie uniques et émouvantes adressées aux familles par les rescapés.
Grâce à des archives inédites, Karen Taieb dévoile un pan méconnu de l'histoire de la Shoah, honore la mémoire des victimes et redonne une identité à vingt et un déportés, dont ces lettres, qui nous plongent de façon saisissante dans la réalité du camp d'Auschwitz, sont parfois les dernières traces.
Karen Taïeb
13 000 Juifs ont été arrêtés puis internés les 16 et 17 juillet 1942 lors de la rafle du Vel' d'Hiv. Longtemps, on a cru qu'il ne restait de ces journées qu'une seule et unique photo, quelques documents administratifs, et de trop rares témoignages. Récemment, au Mémorial de la Shoah, Karen Taieb, responsable des archives, a découvert une poignée de lettres écrites dans l'enceinte même du Vélodrome d'Hiver et sorties clandestinement. Tous les auteurs de ces lettres ont été déportés. Parmi eux, seule une femme es t revenue.
Réunies ici pour la première fois , reproduites en fac-similé et retranscrites, ces lettres nous plongent de façon saisissante dans la réalité de cet épisode tragique.
Les 16 et 17 juillet 1942, 4 500 policiers sont mobilisés pour réaliser la plus grande rafle à l'encontre des Juifs jamais organisée dans Paris et sa banlieue. 12 884 personnes sont arrêtées : 3 031 hommes, 5802 femmes et 4051 enfants. Les personnes visées sont les Juifs de nationalité étrangère, apatrides ou de nationalité indéterminée. Les individus ou familles sans enfants seront dirigés sur le camp de Drancy, les autres, avec enfants, vers le Vélodrome d'Hiver. Dans ce lieu, jusque-là temple du sport, des milliers de personnes vont tenter de survivre pendant plusieurs jours. Les 6 000 Juifs envoyés à Drancy seront déportés rapidement, ceux du Vel' d'Hiv sont transférés dans les camps du Loiret, de Pithiviers et Beaune-la-Rolande. Le 22 juillet, soit six jours après le début de la rafle, le Vel' d'Hiv a été entièrement évacué.
On parle beaucoup et souvent de la rafle du Vel' d'Hiv. Mais à y regarder de plus près, il est encore de nombreuses choses que l'on ne sait pas. Une seule photo connue, quelques documents administratifs, et de trop rares témoignages. Ceux-là nous ont dit la violence de l'arrestation, les conditions dramatiques de l'enfermement, la faim, les maladies, le bruit, les odeurs... À travers eux on a découvert l'enfer du Vel' d'Hiv. Il aura fallu attendre les films très récents comme La Rafle et Elle s'appelait Sarah, pour qu'on ose faire des reconstitutions de l'intérieur. En dehors de ces témoignages, déjà si peu nombreux, les seules choses qui soient parvenues jusqu'à nous, ce sont ces lettres. Quelques mots jetés à la hâte sur un bout de papier, remis à des mains complaisantes. Pour plus de 8 000 personnes internées au Vel' d'Hiv, moins de vingt lettres ont été retrouvées.
Ces lettres, pour la plupart inédites, étaient conservées aux archives du Mémorial de la Shoah. Pour la première fois, les voici rassemblées et publiées dans cet ouvrage. Toutes sont clandestines puisque qu'aucune correspondance n'était autorisée. Ainsi, les auteurs de ces lettres, n'ayant pas à craindre le passage de la censure, dressent un tableau de la situation pris sur le vif.
Ces lettres sont terrifiantes de vérité, de détails. Mais elles constituent aussi malheureusement seulement le point de départ de l'horreur puisque, à une exception près, toutes les personnes dont nous reproduisons les lettres dans ce volume vont être assassinées dans les camps de la mort. En dehors de ces quelques mots tracés de leur main, il ne reste pas grand-chose. Aussi, chaque fois que nous en avons eu la possibilité, nous avons ajouté photographies et documents complémentaires pour permettre de retracer leur parcours. Pour terminer, en fin de volumes, des documents complémentaires (témoignages de personnes ayant pénétré dans le Vel' d'Hiv, document d'archives, dessins...) ainsi qu'une bibliographie permettront au lecteur d'aller plus avant dans la connaissance de ce terrible épisode de la Seconde Guerre mondiale.
« À mon retour d'Auschwitz, le 22 mai 1945, j'ai eu la chance inouïe de retrouver à Paris ma famille miraculeusement épargnée. Je n'ai ni oublié, ni pardonné et j'ai tenu parole : j'avais promis à mes camarades de déportation de tout raconter. Aujourd'hui, souvent inquiète pour l'avenir, je suis heureuse que mon histoire puisse être lue par tous. ».
Paulette Sarcey