Ce volume réunit trois grands reportages que Manuel Chaves Nogales a réalisés en Andalousie pour son jour- nal Ahora, à diverses étapes de la Seconde République.
« Avec les paysans andalous » date de novembre 1931, « Semaine sainte à Séville » d'avril 1935, et le récit qui donne son titre au recueil, « L'Andalouise rouge et «la Blanche Colombe» », de juin 1936. Ce sont d'amples pièces où se mêlent les thématiques andalouse, eth- nographique, religieuse, socio-économique et poli- tique. Le journaliste met en lumière l'évolution d'un climat hautement politique, qui va de l'atmosphère pré- révolutionnaire - lors de ses journées avec les paysans -, à une atmosphère annonçant clairement le conflit - lors de son pèlerinage d'El Rocío -, en passant par des pages magistrales dédiées à une Semaine sainte bouleversée par cet élan républicain.
L'immédiateté de la vision journalistique n'empêche pas une grande profondeur quand il s'agit de montrer les contradictions de sa République bien-aimée, ou celles d'un peuple andalou pris entre révolution et dévotion.
L'honnêteté, la maîtrise, la désillusion quant à ce moment historique et l'antitotalitarisme dont fait preuve Chaves Nogales, contrastent à tel point avec les circonstances qu'ils parviennent à anticiper le désastre qui est sur le point d'advenir.
Dans chacun des trois récits, le contexte historique et actuel impose sa loi et met à mal tout présage, parfois même d'authentiques réalités d'avant guerre. Mais seule une plume avertie comme celle de Chaves Nogales a su faire de son travail de journaliste une oeuvre intemporelle dont la lecture, aujourd'hui, est un exercice que personne ne devrait négliger.
Le journaliste M. Chaves Nogales quitte l'Espagne en 1936 pour la France, pressentant la défaite du camp républicain, dont il est un fervent défenseur. Quelques années plus tard, la France capitule devant l'armée allemande. L'espagnol, déçu, témoigne de ce qui mène selon lui à la collaboration avec l'idéologie nazie, auscultant la société française et ses prétendues élites.
Juste après la révolution russe, les préjugés bourgeois sont encore ancrés dans les mémoires et dans les moeurs. Ce sont autant d'ennemis à vaincre, au profit d'une liberté non moins soumise à la morale. Maria, femme vieillissante et membre haut placé du parti, se lie à un garçon lui-même amoureux d'une fille de son âge : 17 ans. Les deux jeunes gens n'ont pas connu le monde d'avant, et Maria se voit obligée de confronter les valeurs nouvelles à celles que l'on s'est tant acharné à éradiquer : le romantisme n'a plus sa place ni dans les villages du Caucase, ni dans les couloirs froids du Palais du Travail, encore moins sur le pont qui traverse la Mos- kova, où elle finira son errance. La Bolchevique amou- reuse parle, avec une élégante ironie, de deux sociétés irréconciliables, à travers le déclin d'une âme à la fois meurtrie et enthousiaste.
Les quatre récits qui s'y ajoutent, tous publiés dans di- vers journaux dans les années 1920, sont semblables à des fables dont on savoure la trame jusqu'à la dernière ligne pour en connaître la morale; on y retrouve l'éco- nomie de mots et le sens de l'absurde des Histoires pro- digieuses, qui font de Chaves Nogales un grand nouvel- liste. S'y opposent des sociétés, des personnages et des sentiments aussi ambivalents qu'indissociables. Ainsi, un nouveau riche dénonce une parfaite contrefaçon de billets de banque dont il est lui même l'auteur, un homme pousse son épouse à l'adultère, un employé de bureau se bat avec son double, et la femme d'un gou- verneur déchaîne les passions d'un village jusqu'à en menacer les institutions.
«Je ne prétends inaugurer aucune forme inédite, ni résoudre aucun problème littéraire. J'ai écrit conformément à mon tempérament et j'ai adopté la forme la mieux à même de servir mon dessein : poursuivre jusqu'au bout l'idéal humaniste de la culture occidentale à laquelle j'appartiens, en communiquant une sensation forte et claire de l'humain - de l'humain véritable, non de ses fictions habiles.» C'est en ces termes que Manuel Chaves Nogales s'adresse aux lecteurs de Histoires prodigieuses et biographies exemplaires, sa première et dernière oeuvre purement fictionnelle où l'humaniste engagé montre sans jamais les juger les excès et les limites de la nature humaine.
Son goût pour la dérision des valeurs les plus sacrées, l'imaginaire bigarré et fertile que ses histoires déploient et le plaisir manifeste avec lequel il s'adonne à l'art de conter en font un digne héritier de la grande culture littéraire espagnole, et placent ces Histoires au panthéon des récits picaresques, qui ont su manier le rire pour protéger de la bêtise.
C'est en ces termes que Manuel Chaves Nogales s'adresse aux lecteurs de À feu et à sang - neuf récits sur la guerre civile espagnole, écrits dès 1937, alors qu'il était exilé en France. Un fils sommé de choisir entre son père et la cause révolutionnaire, un jeune milicien se sacrifiant pour sauver deux tableaux du Greco, l'élan de tendresse d'un colossal forgeron conducteur de tank pour une petite fille, la fraternité entre un guerrier maure et l'un des soldats républicains chargés de l'exécuter, les remords d'un prestigieux avocat après avoir laissé mourir trois jeunes serveuses qui lui avaient sauvé la vie...
L'auteur se place au coeur même de cette guerre qui fera plus d'un demi-million de morts. Il n'a guère plus de sympathie pour les révolutionnaires que pour les réactionnaires : « Idiots et assassins ont surgi avec une égale profusion et agi avec une égale intensité dans les deux camps qui se sont partagé l'Espagne. » Ces neuf récits d'une grande lucidité et d'une impartialité exemplaire montrent jusqu'où la bêtise et la cruauté peuvent entraîner les hommes.
Ces 31 articles écrits entre août 1936 et septembre 1939, publiés à l'époque dans des revues, en espagnol, en français et en anglais, offrent un point de vue lucide et métaphysique au coeur de la guerre.
Rédacteur en chef du quotidien espagnol l'Heraldo de Madrid, Manuel Chaves Nogales entreprend à l'été 1928 un périple à travers l'Europe qui le mène à Paris, Genève, Berlin, Leningrad et jusqu'aux confins du Caucase. Ce voyage donnera matière au présent reportage, publié en vingt-six articles entre le 6 août et le 5 novembre de la même année dans l'Heraldo.
Entretiens, flâneries et tribulations diverses émaillent ce panorama « spirituel » d'un Vieux Continent soumis à une accélération de l'Histoire sans précédent, et dont la Russie rouge, alors en pleine stalinisation, offre le spectacle le plus troublant et problématique.
En contrepoint des « choses vues », Chaves nous livre son expérience - alors inconnue du plus grand nombre - du vol en avion. Ces plages de contemplation immobile lui dictent autant de descriptions saisissantes que de constats essentiels sur le bouleversement des mesures liant l'être humain à l'espace. C'est aussi le lieu d'un apprentissage : sorti indemne de l'appareil posé en catastrophe, il reprend sa route sur le chemin de terre qui le conduira au prochain aéroport. Le journaliste devient alors l'archétype de l'homme moderne.
La Défense de Madrid regroupe une série d'articles consacrés à la guerre d'Espagne, écrits par Manuel Chaves Nogales en 1938, et retrouvés en 2010 grâce aux recherches minutieuses et passionnées de María Isabel Cintas. Rédigés à une certaine distance des faits que l'auteur relate, ce livre frémit pourtant de l'urgence d'une chronique dictée sur le vif. Le rythme épique, tragique du récit cède le pas, ici et là, à la drôlerie.
La puissance narrative y sert, de la première à la dernière ligne, une clairvoyance politique éblouissante. Et la position affirmée de l'auteur n'atténue en rien sa propension quasi enragée à l'autocritique. Son admiration pour les héros inattendus qui, en quelques jours et contre toute attente, sauvèrent Madrid de l'attaque de l'armée insurgée, n'a d'égal que son mépris à l'égard des politiques roublards et irresponsables qui ont précipité le désastre sans manifester une once de noblesse d'esprit ou de courage physique.
Au fil des heures, des jours, les décors de ce récit vertigineux se succèdent à la vitesse convulsive d'un montage cinématographique. Les complexités de la politique et de la stratégie militaire complètent sans effort la précision photographique des descriptions : sonneries de téléphone déchirant le silence d'un ministère ; grise lumière hivernale baignant les rues désertes d'un faubourg où l'ennemi peut surgir à tout instant ; métamorphose d'un vieux général grassouillet en héros d'une résistance impossible ; agressivité ridicule de Largo Caballero jouant, en bleu de travail et chapeau de paille, les caudillos d'opérette ; travailleurs rejoignant le front pour y trembler de peur et y mourir ; atmosphère oppressante, saturée de fumée, des sous-sols suintant d'humidité du ministère des Finances ; stupidité des doctrinaires.
Chaves Nogales est partout et voit tout.