D'importation récente en France, le « wokisme » ne cesse d'étendre son emprise, en particulier à l'Université et dans le monde culturel. Partant de louables intentions de lutte contre les discriminations, il engendre des pratiques parfois problématiques. Il flirte alors avec des tentations totalitaires qui rappellent un passé stalinien mal connu des nombreux jeunes tentés par cette mouvance perçue comme progressiste. Or ils en ignorent les risques pour les valeurs démocratiques fondamentales : l'universalisme, la rationalité scientifique, la liberté d'expression, la laïcité. C'est pourquoi la critique du wokisme ne relève pas d'une pensée conservatrice ou réactionnaire mais de la défense du modèle républicain.Exemples à l'appui, Nathalie Heinich éclaire ce phénomène et donne des clés pour en comprendre les fondements. Et elle appelle à la vigilance contre certaines dérives du wokisme vers un totalitarisme militant, un « totalitarisme d'atmosphère », non étatique certes mais néanmoins puissant.Nathalie Heinich, sociologue au CNRS, est membre de l'Observatoire des idéologies identitaires. Outre ses nombreux ouvrages de recherche, elle a publié deux textes d'intervention : Ce que le militantisme fait à la recherche (Gallimard, « Tracts », 2021), et Oser l'universalisme. Contre le communautarisme (Le Bord de l'eau, 2021).
Dans un article paru en 1999 dans Le Débat, Nathalie Heinich proposait de considérer l'art contemporain comme un genre de l'art, différent de l'art moderne comme de l'art classique. Il s'agissait d'en bien marquer la spécificité - un jeu sur les frontières ontologiques de l'art - tout en accueillant la pluralité des définitions de l'art susceptibles de coexister. Quinze ans après, la «querelle de l'art contemporain» n'est pas éteinte, stimulée par l'explosion des prix, la spectacularisation des propositions et le soutien d'institutions renommées, comme l'illustrent les «installations» controversées à Versailles. Dans ce nouveau livre, l'auteur pousse le raisonnement à son terme:plus qu'un «genre» artistique, l'art contemporain fonctionne comme un nouveau paradigme, autrement dit «une structuration générale des conceptions admises à un moment du temps», un modèle inconscient qui formate le sens de la normalité. Nathalie Heinich peut dès lors scruter en sociologue les modalités de cette révolution artistique dans le fonctionnement interne du monde de l'art:critères d'acceptabilité, fabrication et circulation des oeuvres, statut des artistes, rôle des intermédiaires et des institutions... Une installation, une performance, une vidéo sont étrangères aux paradigmes classique comme moderne, faisant de l'art contemporain un objet de choix pour une investigation sociologique raisonnée, à distance aussi bien des discours de ses partisans que de ceux de ses détracteurs.
Attribuer de la valeur aux personnes est une activité familière, sur laquelle on ne s'interroge pas. Elle obéit pourtant à des règles implicites. Ce livre applique à ces règles le modèle d'analyse proposé dans Des valeurs, une approche sociologique (2017). Il fait apparaître tout d'abord une large gamme de «preuves de qualité», du statut au talent en passant par l'apparence physique ou les actes ; ensuite, le rôle décisif des «épreuves d'évaluation» comme les examens, concours, prestations publiques ; enfin «l'épreuve de la grandeur» qui fabrique dans les représentations des hiérarchies, donc des inégalités.Cette question des inégalités est particulièrement sensible aujourd'hui. Elle est abordée ici en toute neutralité, dans le seul but d'analyser, de décrire, de comprendre, selon la méthode pragmatique et compréhensive mise en oeuvre par l'auteur.
«À cumuler la posture du chercheur qui étudie les phénomènes avec celle de l'acteur qui tente d'agir sur eux, on ne fait que de la recherche au rabais et de la politique de campus.»Nathalie HeinichNous pensions en avoir presque fini avec la contamination de la recherche par le militantisme. Mais le monde académique que nous dessinent les nouveaux chantres de l'identitarisme communautariste n'a rien à envier à celui que s'étaient jadis annexé les grandes idéologies. Nos «universitaires engagés», trouvant sans doute que voter, manifester, militer dans une association ou un parti ne sont pas assez chics pour eux, tentent de reconquérir les amphithéâtres et leurs annexes. Obnubilés par le genre, la race et les discours de domination, ils appauvrissent l'Université de la variété de ses ressources conceptuelles.Qu'il soit la source ou l'écho de cette nouvelle dérive, décrite ici dans toutes ses aberrations, le monde social que ces chercheurs-militants s'attachent à bâtir s'avère à bien des égards invivable, habité par la hargne et le désir insatiable de revanche.
« Si j'ai décidé d'arracher à leur intimité cette histoire de deux familles, c'est parce que l'une et l'autre m'ont paru emblématiques de ce qui fait mon pays ».
Retraçant l'itinéraire de ses ascendants sur quatre générations, du XIXe siècle à nos jours, Nathalie Heinich livre le récit poignant de son histoire familiale. Avec élégance et clarté, elle exhume le souvenir de sa branche paternelle - des juifs venus d'Ukraine -, puis de sa lignée maternelle - des protestants exilés d'Alsace. Deux familles unies, après trois guerres, par les liens d'un mariage improbable dans la lumière de Marseille...
Conçu comme un album, ce récit en images, personnel et sensible, interroge les liens entre mémoire familiale et identité nationale.
Une génération après que la Révolution eut supprimé les privilèges aristocratiques, une nouvelle élite apparut dans la société française : les «artistes», dont le prestige était devenu tel qu'il leur permettait de s'égaler aux plus grands, malgré l'absence de naissance, de fortune, de pouvoir. En même temps s'imposait l'idée qu'ils formaient une seule catégorie mêlant, tous genres confondus, écrivains, peintres, sculpteurs, musiciens. Et l'identité collective de cette catégorie inédite se définissait, avec la «bohème», par l'excentricité du hors normes : une élite en marge, donc.
Cette situation paradoxale s'explique en partie par le statut institutionnel, économique, démographique, juridique, sémantique des activités artistiques, que reconstitue minutieusement Nathalie Heinich. Mais elle tient aussi à des facteurs de plus longue durée : les valeurs de sens commun, que révèle l'exploration des romans, des témoignages, des journaux, des correspondances. Car on ne comprendrait pas que cet étrange phénomène ait pu perdurer, s'imposant aujourd'hui plus que jamais, sans prendre en compte ces valeurs fondamentales que sont l'aspiration à l'égalité et la reconnaissance de l'excellence, la préséance du mérite et le droit au privilège.
La singularité artiste offrirait-elle à notre société contemporaine, écartelée entre aristocratisme, égalitarisme et méritocratie, une solution de compromis à un élitisme acceptable par la démocratie ?
«Valeurs» : jamais ce terme n'a été aussi fréquemment invoqué, alors même qu'il est peu ou mal défini. Plutôt que de contourner ou de disqualifier la question, Nathalie Heinich l'aborde avec sérieux, au moyen des outils des sciences sociales, en adoptant une approche descriptive, compréhensive et résolument neutre. Elle montre ainsi que les valeurs ne sont ni des réalités ni des illusions, mais des représentations collectives cohérentes et agissantes.
Contrairement à la philosophie morale, qui prétend dire ce que seraient de «vraies» valeurs, la «sociologie axiologique» s'attache à ce que sont les valeurs pour les acteurs : comment ils évaluent, opinent, pétitionnent, expertisent ; comment ils attribuent de «la» valeur, en un premier sens, par le prix, le jugement ou l'attachement ; comment les différents objets valorisés (choses, personnes, actions, états du monde) deviennent des «valeurs» en un deuxième sens (la paix, le travail, la famille) ; et comment ces processus d'attribution de valeur reposent sur des «valeurs» en un troisième sens, c'est-à-dire des principes largement partagés (la vérité, la bonté, la beauté), mais diversement mis en oeuvre en fonction des sujets qui évaluent, des objets évalués et des contextes de l'évaluation.
L'analyse pragmatique des jugements produits en situation réelle de controverse, de différend impossible à clore, tels les débats sur la corrida, permet à l'auteur de mettre en évidence la culture des valeurs que partagent les membres d'une même société. On découvre ainsi que, contrairement à quelques idées reçues, l'opinion n'est pas réductible à l'opinion publique, pas plus que la valeur ne l'est au prix, ni les valeurs à la morale ; que les valeurs ne sont ni de droite ni de gauche ; et qu'elles ne sont ni des entités métaphysiques existant «en soi», ni des constructions arbitraires ou des dissimulations d'intérêts cachés.
Jeune fille à marier, épouse et mère, maîtresse, vieille fille : ces états offerts à la carrière féminine, la littérature occidentale comme l'expérience du monde vécu nous les ont rendus familiers.
Pourtant, la lecture de quelque deux cent cinquante oeuvres, classiques ou plus confidentielles, du XVIIIe siècle à nos jours - romans, nouvelles, contes, pièces de théâtre et films -, réserve une étonnante surprise. La fiction ne se contente pas de refléter la réalité historique et ses lentes évolutions ; à partir de ce petit nombre, très stable, d'états dûment structurés, régis par des règles précises, définis par le mode de subsistance économique et la disponibilité sexuelle, elle révèle un état particulier : le «complexe de la seconde».
Cet état, qui ne s'observe pas semblablement dans la vie commune, est l'équivalent féminin et romanesque du complexe d'oedipe : comment, maîtresse, prendre la place de la femme mariée ? Comment, seconde épouse, remplacer la première ? Il hante la fiction, noble ou sentimentale, de Charlotte Brontë à Georges Ohnet, d'Honoré de Balzac à Marguerite Duras, de Thomas Hardy à Delly, d'Henry James à Daphné Du Maurier.
Telle, dans ses structures, apparaît l'identité féminine à un «regard éloigné», celui que peut porter l'anthropologue sur les romans de la culture occidentale.
L'identité n'est ni une notion molle, signifiant tout et n'importe quoi ni, à l'opposé, une réalité substantielle qu'il suffirait d'observer. S'appuyant sur la compilation de nombreux travaux produits dans différents domaines (anthropologie, sociologie, psychologie sociale, psychanalyse, histoire), cet ouvrage de synthèse montre qu'il s'agit d'une expérience à la fois importante et dûment structurée, ainsi que d'une notion parfaitement utilisable. Mais il faut pour cela s'abstenir de réduire la question de l'identité à un camp politique, ou à la seule dimension de l'identité nationale, ou encore à une conception essentialiste et unidimensionnelle : ce pourquoi la meilleure façon de comprendre l'identité est d'en passer par ce qu'elle n'est pas. Au terme d'une telle analyse, la notion d'identité apparaît comme non seulement compréhensible mais utile, en tant qu'elle permet de mettre en évidence les conditions d'une cohérence de soi dans les différents régimes d'existence, du plus individuel au plus collectif.
144 pages, sous couverture illustrée, 118 x 185 mm
L'ouvrage est fondé sur les articles écrits et augmentés contre les politiques de l'identité, le féminisme radical, le décolonialisme, la «cancel culture», etc.
Ces textes d'intervention sont parus soit dans des revues d'opinion (Le Débat, Cités, La Revue des deux mondes, Le Droit de vivre...), soit dans des revues universitaires, soit dans des journaux (Le Monde...), et vont de l'analyse sociologique au billet d'humeur.
L'ouvrage se présentera en trois parties : «Identitarisme », «Néo-féminisme», «Nouvelles censures».
Qu'est-ce que l'art contemporain, qu'est-ce qui motive les polémiques qui l'entourent ? L'auteur propose de le considérer non comme un moment de l'histoire de l'art, de l'évolution artistique, mais comme un "genre" à proprement parler, comme la peinture d'histoire de l'âge classique, ou la musique contemporaine.
La sociologie de l'art est une discipline aux contours flous, prise entre des traditions intellectuelles hétérogènes : histoire culturelle, esthétique, histoire de l'art, psychologie sociale, sociologie d'enquête. Pour en restituer les différentes logiques, ce livre croise à la fois les générations temporelles, les traditions disciplinaires, les positions conceptuelles et, surtout, les méthodes. Cette approche permet notamment de distinguer les modèles du passé, dont la visibilité est souvent inversement proportionnelle à la fécondité réelle, et les approches actuelles, moins idéologiques et peu connues des non-spécialistes. Qu'ils portent sur la réception, la médiation, la production ou les oeuvres d'art, les nombreux travaux qui, depuis une quarantaine d'années, sont issus des méthodes d'investigation sociologique, apportent des résultats concrets et, surtout, ouvrent des questions hautement problématiques pour la sociologie dans son ensemble.
Raymond Aron, Albert Camus, Georges Canguilhem, André Chouraqui, Alexandre Grothendieck, Marcel Pagnol, Léon Poliakov, Francis Ponge, Paul Ricoeur, Gilbert Simondon, Pierre Vidal-Naquet...
Le village du Chambon-sur-Lignon en Haute- Loire (3000 habitants) est mondialement connu pour avoir massivement sauvé des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, au point d'avoir reçu collectivement le titre de « Juste parmi les Nations » décerné par le mémorial de Yad Vashem.
La géographie, l'histoire politique et l'histoire intellectuelle se nouent pour raconter cette exceptionnelle saga, qui a vu naître sur un même territoire des oeuvres importantes : La Peste d'Albert Camus, La Fabrique du pré de Francis Ponge, La Femme du boulanger de Marcel Pagnol, Le Normal et le pathologique de Georges Canguilhem, Le Volontaire et l'involontaire de Paul Ricoeur, Jésus et Israël de Jules Isaac, Les Guerres en chaîne de Raymond Aron, l'Introduction à la pensée juive du Moyen Age de Georges Vajda...
Depuis l'invention de la photographie, les moyens modernes de reproduction et de diffusion de l'image des personnes creusent une spectaculaire dissymétrie entre celles qui sont reconnues et les autres.
Cette dénivellation de la " visibilité ", forme moderne de la célébrité, crée un véritable " capital ", qui peut se mesurer au nombre d'individus capables d'associer le nom et le visage de la personne reconnue. Pour Nathalie Heinich, les êtres dotés d'un tel " capital de visibilité " forment une nouvelle catégorie sociale, depuis le " personnage " qui fait parler de lui dans le village jusqu'à la " star " mondialement connue, élite aussi visible que peu objectivée.
Assimilant ce phénomène au paradoxe de la " lettre volée " d'Edgar Poe, elle montre combien il crève les yeux, à force d'être exposé aux regards, tout en demeurant quasiment invisible : situation d'autant plus paradoxale qu'elle s'applique à la capacité de certains d'être plus vus que d'autres. De fait, la célébrité est peu ou mal analysée et reste confinée à une approche étroite (un fan-club, une émission de téléréalité, une enquête sur la presse spécialisée).
À l'opposé, l'approche de Nathalie Heinich envisage la visibilité comme un " fait social total " qui engage toutes les dimensions de la vie sociale. Cette innovation entraîne un nouveau rapport entre vie publique et vie privée, une nouvelle échelle des valeurs sociales, de nouvelles formes de hiérarchies, non moins qu'une économie très lucrative : cinéma, magazines, marques. Prolongeant L'Élite artiste, paru en 2005 dans la même collection et déjà sous-titré " Excellence et singularité en régime démocratique ", ce nouveau livre repose la question de la célébrité dans le cadre plus général de la singularité, dont elle montre comment, après s'être constituée en valeur avec l'avènement du régime démocratique, elle prend un exceptionnel essor dans le régime médiatique.
Depuis le début du siècle, et plus radicalement depuis les années cinquante, les avant-gardes artistiques réitèrent sous différents angles l'opération qui consiste à transgresser une frontière et, en la transgressant, à la donner à voir frontières de l'art lui-même tel que le définit le sens commun (beauté, expressivité, signification, pérennité, exposabilité, et jusqu'aux matériaux traditionnels que sont la peinture sur toile et la sculpture sur socle), frontières matérielles du musée, frontières mentales de l'authenticité, frontières éthiques de la morale et du droit. Ainsi s'est constitué un nouveau « genre » de l'art, occupant une position homologue de celle de la « peinture d'histoire » à l'âge classique.
À cette déconstruction des principes canoniques définissant traditionnellement l'oeuvre d'art, les différentes catégories de publics tendent bien sûr à réagir négativement, en réaffirmant - parfois violemment - les valeurs ainsi transgressées. Mais peu à peu, les médiateurs spécialisés (critiques d'art, galeristes, collectionneurs, responsables institutionnels) intègrent ces transgressions en élargissant les frontières de l'art, provoquant ainsi de nouvelles réactions - et de nouvelles transgressions toujours plus radicales, obligeant les institutions à toujours plus de permissivité, et instaurant une coupure toujours plus prononcée entre initiés et profanes.
C'est là le jeu à trois partenaires, ce « triple jeu » qui donne sens aux étranges avatars des avant-gardes actuelles. Pour le comprendre, il faut donc s'intéresser non seulement aux propositions des artistes (peintures et sculptures, installations et assemblages, performances et happenings, interventions in situ et vidéos), mais aussi aux réactions auxquelles elles donnent lieu (gestes, paroles, écrits) et aux instruments de leur intégration à la catégorie des oeuvres d'art (murs des musées et des galeries, argent et nom des institutions, pages des revues, paroles et écrits des spécialistes). Aussi faut-il associer ces trois approches trop compartimentées que sont la sociologie des oeuvres, la sociologie de la réception et la sociologie de la médiation. C'est ce que propose ce livre, empruntant aux tendances les plus récentes des sciences sociales, à partir d'une analyse esthétique des oeuvres d'art contemporain, ainsi que d'enquêtes auprès des publics, d'observations de terrain, de statistiques et d'analyses de textes. Dans l'atmosphère de lutte de clans qui entoure aujourd'hui l'art contemporain, partisans et opposants se demanderont sans doute de quel bord est issue cette réflexion. Elle a toutes chances de conforter et d'agacer les uns comme les autres : elle agacera ses adversaires en confortant ses défenseurs, parce qu'elle montre que les pratiques artistiques les plus déroutantes obéissent à une logique, ne sont pas « n'importe quoi » ; et elle confortera ses adversaires en agaçant ses défenseurs, parce que la logique qu'on y découvre n'est pas forcément du même ordre que celle qu'y voient spécialistes ou amateurs. Mais il ne s'agit plus ici de prendre parti dans les querelles virulentes à propos de l'art contemporain : il s'agit de prendre pour objet (entre autres) ces querelles, en mettant en évidence ce qui les sous-tend - pour le plaisir de comprendre non seulement le jeu de l'art contemporain, mais aussi les valeurs dont il joue, et qui concernent tout un chacun.
Pour retrouver l'effet d'étrangeté que produisit l'emballage du Pont-Neuf, il faut remonter dans le temps, quand Christo était encore peu connu du grand public.
En 1985, le sens d'une entreprise aussi inédite, collective et éphémère, était loin d'aller de soi, en tout cas pour les non-initiés : avait-on encore affaire à un ouvrage d'art - le pont - ou bien à une oeuvre d'art ? Comment se faire une opinion ? Et fallait-il même prendre tout cela au sérieux, qui défiait autant le sens commun que la sociologie ?
L'enquête menée à l'époque par Nathalie Heinich permet de s'immerger dans le Paris du premier « effet Christo ». Truffée d'anecdotes savoureuses et de documents originaux, elle offre une introduction remarquablement vivante à la question des frontières de l'art.
L'histoire de "La Retrouvée" raconte une conquête à double sens. Car cette maison, initialement parée de toutes les disgrâces, a dû conquérir le coeur de sa propriétaire, tandis que celle-ci s'acharnait à faire sien un lieu « qui n'était pas son genre ».
Comment s'approprie-t-on une maison, un jardin ? Comment devient-on finalement habité par le lieu qu'on habite, réparé par le lieu qu'on répare ?
L'exploration de ce kaléidoscope d'expériences, à la fois bien particulières et familières à beaucoup d'entre nous, fait l'objet de cet atypique récit par fragments, allant de l'anecdote drolatique à l'exploration psychanalytique, du traité de décoration à la philosophie et de la botanique à la mystique.
L'art est un objet critique de la sociologie : parce qu'il est investi des valeurs mêmes - singularité et universalité contre lesquelles s'est construite la tradition sociologique, il incite, plus que tout autre domaine, à opérer des déplacements qui affectent non seulement la sociologie de l'art, mais l'exercice de la sociologie en général.
Il est donc temps d'observer non plus ce que la sociologie fait à l'art, mais ce que l'art peut faire à la sociologie dès lors qu'on prend au sérieux la façon dont il est perçu par les acteurs, ainsi se redistribuent les approches méthodologiques et théoriques, permettant de revenir sur des habitudes mentales ancrées dans une tradition sociologique qui n'est encore le plus souvent qu'une idéologie du social - une socio-idéologie.
Comment le Van Gogh mort en 1890 est-il devenu le Van Gogh célébré en 1990 ? Comment un individu nommé Vincent Van Gogh a-t-il été peu à peu constitué en héros - singularisé par la comparaison, grandi par l'admiration et, enfin, sanctifié par la célébration ? Comment les moments de sa biographie sont-ils devenus motifs légendaires - anecdotes tout d'abord, puis vérités historiques et, finalement, lieux communs ?
Où l'on découvrira comment ses oeuvres, immédiatement après sa mort, ont été quasi unanimement, reconnues par la critique ; et comment malgré cela sa vie, une génération plus tard, a été transformée en légende hagiographique, bâtie sur le motif de l'incompréhension : motif dont il faudra comprendre la fonction dans cette mythologie du sacrifice et de la faute qui, incarnée en ce nouveau paradigme de l'artiste, organise aujourd'hui les formes les plus religieuses d'investissement sur l'art. Mais il faudra comprendre également pourquoi ce phénomène n'est pas simplement réductible à une « sacralisation » de l'artiste - pas plus d'ailleurs que l'inflation monétaire des oeuvres ne l'est à une « irrationalité » économique ; et pourquoi les manifestations les plus populaires de l'admiration pour les grands singuliers suscitent la réprobation savante dans un monde lettré qui, à l'opposé, tend à s'en démarquer. Ce sera l'occasion, enfin, de s'interroger sur la nature de l'admiration, et sur les fonctions assignées à la singularité : autant de questions soulevées, au-delà du cas Van Gogh, par ce style fondamental de notre société moderne, mais aussi peu analysé qu'il nous est, cependant, familier.
Livre d'entretiens entre la sociologue de l'art Nathalie Heinich et Harald Szeemann (1933, Berne - 2005, Tegna), qui aura représenté de manière emblématique cette position longtemps atypique de commissaire d'exposition "auteurisé".
Jeune directeur de la Kunsthalle de Berne, commissaire de l'exposition mythique : Quand les attitudes deviennent formes, en 1969, "secrétaire général" de la Dokumenta de Kassel jusqu'en 1972..., H. Szeemann a marqué son époque comme peu de spécialistes d'art contemporain l'ont fait, notamment en inventant ce statut d'"auteur d'exposition".
Réflexion sur ce qui permet aujourd'hui d'établir le contact avec les oeuvres d'art contemporain.
Par quelles opérations un édifice ou un objet se trouve-t-il intégré au corpus du patrimoine ."Quelles sont les étapes de la " chaîne patrimoniale ", depuis le premier regard jusqu'à l'éventuelle obtention du statut juridique de " monument historique " ? Quels sont les critères mis en oeuvre par les chercheurs de l'Inventaire pour décider que tel château, telle ferme, tel tableau d'église possède ou non une valeur patrimoniale ? Quelles émotions animent les mobilisations des profanes en faveur des biens à préserver ? Et finalement, sur quelles valeurs fondamentales repose la notion même de patrimoine ?.
Telles sont les questions auxquelles répond ce livre, à partir d'enquêtes au plus près du terrain. Car c'est dans le détail des procédures, des propos enregistrés, des scènes et des gestes observés que l'on peut réellement comprendre comment - c'est-à-dire pourquoi les limites du patrimoine n'ont cessé, en une génération, de s'étendre, englobant désormais non seulement la " cathédrale " mais aussi la " petite cuillère" selon les mots d'André Chastel définissant le service de l'Inventaire , voire, tout récemment, la borne Michelin.
Appliquant à la question patrimoniale les méthodes de la sociologie pragmatique, cette étude s'inscrit dans la perspective d'une sociologie des valeurs, tentant d'élucider ce qu'on entend aujourd'hui dans notre société par l'ancienneté, l'authenticité, la singularité ou la beauté - et qu'on en attend.
Sociologue hors normes, Norbert Elias, né en Allemagne en 1897, mort aux Pays-Bas en 1990, est considéré comme l'un des plus grands représentants de sa discipline, à l'égal de Weber, Durkheim ou, plus tard, Bourdieu. Ayant dû fuir l'Allemagne nazie pour la France puis la Grande-Bretagne, il a attendu l'âge de la retraite pour voir son oeuvre enfin publiée et reconnue. Introduite tardivement en France dans les années 1970, elle commence seulement à bénéficier de la reconnaissance internationale et pluridisciplinaire qu'elle mérite, tant auprès des sociologues que des psychologues, historiens, politistes et anthropologues.
Rendre sa pensée plus accessible en en dégageant les motifs souterrains, et en dissipant quelques-uns des malentendus dont elle a pu pâtir, tel est le premier objectif de cet ouvrage. Quelques études de cas dans divers domaines illustrent la fécondité de ses apports : la question de l'authenticité, la notion d'élite, le statut d'artiste dans la modernité et le rôle de l'excitation dans les spectacles sportifs et la consommation des oeuvres de fiction. Une courte postface propose un commentaire plus personnel sur la vie exceptionnelle d'un penseur hors du commun.
Sociologue de l'art, auteur d'une trentaine d'ouvrages et d'un grand nombre d'articles dans des revues de sciences sociales françaises et étrangères, traduite dans le monde entier, Nathalie Heinich revient dans cet entretien sur son parcours atypique : des études de philosophie en province au séminaire de Pierre Bourdieu à Paris, des années noires de l'« intello précaire » au CNRS et à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, de l'après-68 à l'entrée dans le XXIe siècle, elle raconte concrètement comment se fait une carrière de chercheur, comment émergent les thèmes de recherche, comment se fabriquent les enquêtes, comment s'écrivent et se publient les articles et les livres, à quelles lectures parfois inattendues ils donnent lieu.