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Le Bruit Du Temps
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Mandelstam qui avait été dans le Caucase au début des années 20, a rêvé de l'Arménie pendant des années avant de pouvoir enfin s'y rendre, grâce à l'appui de son ami Boukharine, en 1930. Les quelques mois de ce séjour (de mars à octobre) seront pour lui comme « une dernière journée de sursis » (Ralph Dutli) dans son existence de proscrit. Le journal de ce voyage, qui sera sa dernière oeuvre publiée de son vivant, survient, dans son oeuvre, comme une bouffée de l'air des hautes terres et des premiers temps de l'histoire humaine (« J'ai eu la chance d'assister au culte que les nuages rendent à l'Ararat ») emplissant les poumons du poète. Loin de l'oppression soviétique évoquée à la toute fin du volume avec l'hisoire du tsar arménien Archak qu'a emprisonné par l'Assyrien Shâpur, qui le prive « de son ouïe, de son goût et de son odorat ». Or ce sont précisément les notations sensorielles, la finesse de la perception, qui font le prix de ces pages où le narrateur-voyageur ne cesse de nous faire partager son émerveillement, tout en soulignant l'unité du monde où se lit partout la grande écriture chiffrée des signes. Paradoxalement cette unité est saisie de manière discontinue, par une succession d'éclats. Ces ruptures donnent à ce petit livre toute sa fraîcheur et sa fantaisie, qui sont ceux de la vie-même dont son oeil s'empare « avec une rage de grand seigneur ». Lui-même le souligne dans une réponse à ses détracteurs : « Mon petit livre explique que le regard est l'instrument de la pensée, que la lumière est une force et l'ornement une réflexion. Il y est question d'amitié, de science, de passion intellectuelle et non de «choses». » Et, dans son livre : « les dents de la vue s'effritent et se brisent, lorsqu'on regarde pour la première fois les églises d'Arménie. »
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" Je n'ai pas envie de parler de moi, mais d'épier les pas du siècle, le bruit et la germination du temps...
" Même s'il s'en défend, avec Le Bruit du temps, publié en 1925 et rédigé en Crimée dès 1923, Mandelstam signe son livre le plus autobiogaphique et donc la meilleure introduction qui soit à son oeuvre. Il y évoque le Pétersbourg d'avant la révolution et sa formation de poète : de la bibliothèque (russe et juive) de son enfance à l'étonnant professeur de lettres, V. V. Gippius, qui lui a enseigné et transmis la " rage littéraire ".
Mais le livre est aussi une éblouissante prose de poète, qui annonce Le Timbre égyptien. Une prose où le monde sonore du temps (concerts publics, mais aussi intonations d'acteurs, chuintements de la langue russe) constitue la base du récit, une prose qui jaillit d'un regard à travers lequel le monde semble vu pour la première fois, avec une étonnante intensité. Mandelstam compose ainsi une suite de tableaux d'une exposition sur la préhistoire de la révolution.
Le livre s'achève au présent sous une chape d'hiver et de nuit (" le terrible édifice de l'Etat est comme un poële d'où s'exhale de la glace "), face à quoi la littérature apparaît " parée d'un je ne sais quoi de seigneurial " dont Mandelstam affirme crânement, à contre-courant, qu'il n'y a aucune raison d'avoir honte ni de se sentir coupable. Pourquoi traduire une nouvelle fois Le Bruit du temps alors qu'il existe déjà deux traductions en français, l'une, médiocre, dans une anthologie de proses de Mandelstam intitulée La Rage littéraire chez Gallimard, jamais rééditée ; l'autre, extrêmement précise, par Edith Scherer, à L'Age d'homme, reprise dans la collection " Titres " chez Christian Bourgois ? Sans doute parce qu'il fallait faire appel à un poète pour donner à entendre dans une langue d'une grande richesse, la musique et l'éclat si particuliers de cette prose.
Nous avons commandé cette traduction nouvelle à Jean-Claude Schneider, admiré de poètes allemands comme Hölderlin, Trakl, Bobrowski, qui avait déjà traduit de Mandelstam, à La Dogana, des poèmes de Simple promesse et surtout le magnifique Entretien sur Dante, précédé de La Pelisse.
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La réception hors de Russie de l'oeuvre du poète Ossip Mandelstam (1891- 1938) - selon Nabokov «le plus grand de tous ceux qui ont tenté de survivre sous le pouvoir soviétique» -est en soi une page passionnante de la culture européenne. En France, Mandelstam est traduit ponctuellement une première fois dans la revue Commerce, dès 1925. Mais, pour que son oeuvre trouve en n la place qui est la sienne, celle de l'une des oeuvres poétiques les plus importantes du e siècle, il faudra attendre que le poète allemand Paul Celan reconnaisse en lui son frère et le traduise en allemand (1959), puis la publication de Contre tout espoir, les volumes de souvenirs de Nadejda Mandelstam à partir des années 1970. Dès lors, Mandelstam a été traduit assez abondamment mais chez plusieurs éditeurs et par des traducteurs divers. Il est devenu l'égal des grands phares de la poésie qu'il n'a cessé de célébrer: Dante, Villon, Pouchkine, Verlaine...
La présente édition réunit pour la première fois, à la seule exception de la correspondance du poète, l'intégralité de l'oeuvre, entièrement traduite par Jean- Claude Schneider, éminent poète et traducteur auquel Paul Celan lui-même avait en quelque sorte passé le ambeau en lui o rant en 1966 sa propre version de quelques poèmes de Mandelstam.
Avec ces deux volumes, le lecteur français pourra en n circuler aisément des recueils de poèmes dont les titres lui sont peut-être familiers - La Pierre, Tristia, Les Cahiers de Voronej - aux récits en prose - Le Bruit du temps, Le Timbre égyptien, Le Voyage en Arménie - et aux essais, notamment à ses grands textes sur la poésie dont le plus célèbre est le magistral Entretien sur Dante. Et cela dans une traduction qui tente : « de ne rien perdre de cette langueni le ruissellement, ni la surprenante explosion sonore, et de ne rien lui ajouter qui l'alourdisse, la dilue, la paralyse». Mais il pourra surtout découvrir de nombreux textes moins connus, notamment les nombreux poèmes «non rassemblés en recueil ou non publiés» et tout l'éventail des passionnantes petites proses, depuis les «impressions de Crimée» et du Caucase jusqu'à sa «Préface auQuatrevingt-treize de Victor Hugo» et à son article sur «Scriabine et le christianisme».
L'indispensable appareil critique, aussi discret que possible (notes, chronologie, bibliographie placés en n de volume), est dû à Anastassia de la Fortelle, qui enseigne la littérature et la langue russe à l'université de Lausanne. Il parachève cette édition, préfacée par deux essais remarquables du traducteur, qui devrait devenir l'édition française de référence de ce grand classique de la littérature russe.
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Seule oeuvre de fiction écrite par Ossip Mandelstam, Le Timbre égyptien répond à une réflexion que l'écrivain a menée en 1922 sur « la fin du roman ». Ce texte est pour lui une sorte de démonstration de ce que devrait être une prose contemporaine, reflet du monde dans lequel il est désormais plongé. C'est le récit d'une journée dans la vie de Parnok, double ironique de Mandelstam, un de ces « petits hommes » d'une faiblesse héroïque, si fréquents dans la tradition russe depuis Gogol et Dostoïevski. Parnok déambule dans les rues de Saint-Pétersbourg à la recherche de sa « queue-de-morue » qui a mystérieusement abouti entre les mains d'un personnage officiel, le capitaine Krzyzanowski. Nous sommes au cours de « l'été Kerenski », en 1917, entre deux révolutions. Et déjà la ville tant aimée a pris des allures de cauchemar. Le temps est sorti de ses gonds. Par héroïsme, Parnok tente de sauver du lynchage un autre « petit homme », sans succès. Le récit se perd ensuite dans des divagations qui reflètent l'état d'esprit du personnage. Mais l'âpreté de ce monde où le froid et la peur envahissent tout, ne rend que plus fulgurants les éclats de lumière. Parnok, ce « prince zélé de la malchance », conserve jusqu'au bout le goût du Sud, de la musique. La parole semble pouvoir renaître. Lui-même est comparé à « un pépin de citron jeté dans une crevasse du granit pétersbourgeois ».
La traduction publiée ici avait paru en France en 1930, deux ans seulement après la publication en langue originale en URSS, dans la revue Commerce. Nous reprenons ici l'édition parue au Bruit du temps en 2009, avec tout son appareil critique, en l'augmentant de quelques variantes inédites en français, traduites par Jean-Claude Schneider.
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" ii est terrible de penser que notre vie est un roman, sans intrigue et sans héros, fait de vide et de verre, du chaud balbutiement des seules digressions et du délire de l'influenza pétersbourgeoise.
L'aurore aux doigts de rose a cassé ses crayons de couleur. ils gisent aujourd'hui comme de jeunes oiseaux, avec des becs béants et vides. cependant, tout absolument me semble contenir les arrhes de mon délire favori en prose. ".