Quelle démangeaison de parler ! Au point d'en avoir, à cette heure même, comme la langue incertaine contre les dents se presse et que la lèvre s'arrondit peu, chose encore à se dire !
Bon, qu'ils parlent donc...
Publié en 1970 dans L'éphémère, ce texte essentiel était devenu introuvable. Il constitue la clef de la poésie si énigmatique de Paul Celan, autant qu'une méditation sur le destin juif.
Traduction d'André du Bouchet, dessins de Pierre Tal Coat.
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Simplement il lui était parfois désagréable de ne pouvoir marcher sur la tête. " celui qui marche sur la tête, mesdames et messieurs, - celui qui marche sur la tête, il a le ciel en abîme sous lui. mesdames et messieurs, il est aujourd'hui passé dans les usages de reprocher à la poésie son " obscurité ". - permettez-moi, sans transition - mais quelque chose ne vient-il pas brusquement de s'ouvrir ici ? -, permettez-moi de citer un mot de pascal que j'ai lu il y a quelque temps chez léon chestov : " ne nous reprochez pas le manque de clarté puisque nous en faisons profession ! " - sinon congénitale, au moins conjointe-adjointe à la poésie en faveur d'une rencontre à venir depuis un lieu lointain ou étranger - projeté par moi-même peut-être -, telle est cette obscurité.
P. c.
Le coffret regroupe les deux volumes de Correspondance.
Volume 1 : Lettres.
« Vois-tu, j'ai l'impression, en venant vers toi, de quitter un monde, d'entendre les portes claquer derrière moi, des portes et des portes, car elles sont nombreuses, les portes de ce monde fait de malentendus, de fausses clartés, de bafouages. Peut-être me reste-t-il d'autres portes encore, peut-être n'ai-je pas encore retraversé toute l'étendue sur laquelle s'étale ce réseau de signes qui fourvoient - mais je viens, m'entends-tu, j'approche, le rythme - je le sens - s'accélère, les feux trompeurs s'éteignent l'un après l'autre, les bouches menteuses se referment sur leur bave - plus de mots, plus de bruits, plus de rien qui accompagne mon pas - Je serai là, auprès de toi, dans un instant, dans une seconde qui inaugurera le temps ».
Paul.
Volume 2 : Commentaires et illustrations.
« Je vous écris, mon Amour, je vous écris - cela fait vivre. Mon Aimée ! J'ai sorti, de votre petit Pascal, votre photo d'il y a onze ans. Gisèle de Lestrange, je vous aime. Ma souriante d'alors ! Ma si éprouvée ! Ma si courageuse ! Je pleure, mais oui. Mais, dans ces larmes, je vous rejoins, vous et notre fils Eric, vous et notre vie à nous, à nous trois, et qui, n'est-ce pas, garde et gardera ses clartés, ses étoiles, ses soleils, sa Maison. » Paul.
La place de paul celan en france aujourd'hui n'a rien de commun avec celle qui était la sienne à sa mort en 1970.
Pourtant, malgré l'existence de traductions de plus en plus nombreuses, il m'a semblé qu'un peu à la manière de ce qui se passait pour hölderlin, le nom de celan, ou si l'on préfère l'aura qui entoure ce nom tendait à prendre la place d'une connaissance plus précise de sa poésie. c'est pourquoi, outre un choix de textes assez large, j'ai voulu cette fois offrir au lecteur une documentation suffisante pour qu'il puisse comprendre le contexte dans lequel cette oeuvre a vu le jour.
De czernowitz à paris en passant par vienne, de l'amour pour l'allemand transmis par la mère à la réappropriation juive de cette langue, devenue entre-temps la langue de ses bourreaux, les poèmes de celan retracent le chemin de l'une des oeuvres poétiques majeures de l'après-guerre en europe. john e. jackson.
Paul Celan est né en 1920 en Roumanie, et mort à Paris en 1970. Originaire d'une famille juive parlant allemand, il fait des études de littérature et de langues romanes en Roumanie. En 1942 ses parents sont déportés. Après la guerre, qui l'a profondément marqué, il quitte son pays pour Vienne, puis Paris où il devient lecteur à l'ENS et traducteur. Bien que Celan ait publié ses premiers poèmes vers 1948, c'est en 1952 avec Pavot et Mémoire qu'il commence à atteindre une certaine célébrité. Il est par la suite consacré comme le plus grand poète de langue allemande de l'après-guerre:en 1958, il reçoit le prix littéraire de la ville de Brême, et en 1960, le prix Georg Büchner.
Cette correspondance rapproche deux hommes, deux écrivains, et aussi deux lecteurs, bien qu'ils ne fussent ni de la même langue ni du même monde ni du même âge. Leur voisinage, leur rencontre n'a en fait rien pour surprendre. L'échange entre René Char et Paul Celan semble aller de soi et apparaît d'emblée sous un jour des plus prometteurs; il laisse augurer d'une certaine égalité des voix; d'un dialogue nourri d'expériences comparables:celui du poète du maquis de Provence avec le poète juif d'Europe orientale qui, contrairement à ses parents, ne subira que les camps de travail roumains et échappera à la machine d'extermination nazie. Tous deux connurent, jeunes, la clandestinité, la disparition de proches, le sentiment de l'imminence de la mort, la haine absolue des politiques mortifères. Tous deux ont écrit et pensé dans des situations extrêmes. Les poèmes de Celan nés dans les camps, qui constituent le socle de toute son écriture, sont encore, quand s'ébauchent leurs échanges, quasiment inconnus en France. Char et Celan ont trempé pour toujours leur parole dans ces multiples épreuves. Une parole qui devait assumer sa part obscure, issue des méandres et des gouffres du siècle. L'obscurité de leur dire résulte de la coagulation et de l'élaboration d'expériences limites, d'un passage par l'abîme et non d'un hermétisme délibéré, au sens d'un cryptage volontaire de quelque chose de préalablement clair, destiné à on ne sait quels initiés! C'est à travers le filtre ou l'optique des événements vécus que les deux poètes mettent à l'épreuve leurs lectures, s'approprient ce qu'il leur faut pour situer leur propre voix tôt fondée en nécessité.