Prise entre la légende dorée napoléonienne et le mythe républicain, attaquée de toutes parts pour des raisons politiques et idéologiques, la monarchie censitaire a longtemps fait l'objet d'un refoulement collectif. Ne serait-elle qu'une simple parenthèse réactionnaire ?
Bien au contraire. Par son renouvellement du personnel politique, par le pragmatisme inédit d'un pouvoir soucieux de se concilier ses administrés, par l'acclimatation du parlementarisme et de certaines libertés civiles et politiques, par son effervescence intellectuelle et artistique, la Restauration, puis la monarchie de Juillet sont synonymes de rénovation, et donnent au pays une place à part dans le concert des nations.
La France et les Français s'engagent dans une douloureuse réinvention de leur passé ; une période au cours de laquelle naissent des projets d'avenir qui recomposent les lignes de clivage d'une société en pleine transformation.
De "proximité") s'impose alors pour longtemps dans l'espace parisien. En jouant sur les échelles et les angles d'observation, cet ouvrage entend étudier les mutations d'une relation police-société dans la seconde moitié du XIXe siècle.
Entre 1854 et 1914, le sergent de ville, devenu gardien de la paix, s'intègre progressivement dans l'espace social, politique et mental parisien, sans que cela implique bien sûr la fin des confrontations ni celle des débats.
S'observe en même temps la lente professionnalisation d'une nouvelle force de police, la mise en place d'un ordre public d'un nouveau type, plus intégré, mais qui produit de nouvelles résistances et mises à l'écart, ainsi que l'émergence d'une perception nouvelle du "quotidien urbain" et de la peur des "apaches".
Ce processus concerne peut-être l'ensemble du territoire français, mais il semble trouver une expression particulière, dans ses formes comme dans son intensité, dans la capitale. Le gardien de la paix parisien devient en effet dans la République des années 1900 un symbole, à l'échelle française et internationale, de ce qui est perçu comme une nouvelle et ambiguë "civilisation urbaine".
Comme le suggère le pluriel du titre, le cycle de révolutions qui enserre la période 1848-1871 voit deux révolutions tuées dans l'oeuf avant même qu'elles n'éclosent : le laboratoire d'expériences politiques que constituent ces années sur lesquelles on a tant écrit paraît ainsi condamné à des réussites éphémères et artificielles.La Révolution, qui semblait unique dans l'histoire et vouée à ramener les choses dans l'ordre, selon les uns, ou à créer le désordre, selon les autres, fait mentir les deux parties et s'enraye dans une suite de parodies d'elle-même, avant et après un Second Empire que d'aucuns voient comme la parodie du Premier. Pourtant, ces réitérations, ces ruptures, ces réarrangements incessants forgent une culture post-révolutionnaire plus discrète, plus timide peut-être, mais qui, en l'accoutumant au suffrage universel et à la proclamation des libertés civiles, n'en fera pas moins basculer le pays dans la République.Nulle téléologie là-dedans - Quentin Deluermoz est attentif à la polysémie des discours et des représentations ainsi qu'aux oppositions entre groupes sociaux et politiques - mais le sentiment grandissant et diffus, sur l'ensemble du territoire et non seulement à Paris, dans toute l'Europe et non seulement en France, que le passé se remodèle, que le monde actuel cherche à se structurer, que quelque chose de neuf se profile à l'horizon qu'on ne peut encore nommer.
S'appuyant sur une analyse historique des moeurs et des faits de société, Norbert Elias s'est efforcé d'expliquer, à travers son oeuvre, la rationalisation progressive des comportements par le développement de l'Etat à partir du XVIe siècle. Ce faisant, il a cherché à dépasser la traditionnelle opposition entre individu et société.
A la différence des historiens travaillant sur les époques médiévale et moderne, les spécialistes du xxe siècle, n'ont pas, ou peu, utilisé sa réflexion. Pourtant, les violences de la Grande Guerre, le relâchement des moeurs et des corps à l'entre-deux-guerres, les colonisations européennes, le sport de masse, l'impérialisme américain, etc. constituent autant de sujets pour lesquels son approche peut se révéler pertinente.
Contribuant au dialogue interdisciplinaire cher à Elias, cet ouvrage présente d'abord l'oeuvre du sociologue, pour confronter ensuite sa réflexion sur le « processus de civilisation » à des phénomènes majeurs du XXe siècle.
La redécouverte passionnante d'une référence de la pensée contemporaine.
Qui veut éclairer les ressorts sensibles de la vie sociale doit affronter un jour ou l'autre le vaste continent de l'indifférence, de la désaffection, de l'absence de sentiment. Ce numéro anniversaire de Sensibilités lui en donne l'occasion. En rappelant, d'abord, que le contraire de l'émotion n'est pas tant la raison que l'insensibilité précisément : aux êtres comme aux choses.
Et l'on songe ici à ces indifférences logées au creux du quotidien. Celles qui se sont installées dans nos vies face à l'incessant chaos du monde, dans nos rues au contact de la misère sociale et affective, au sein de mégalopoles travaillées par la montée de l'individualisme. Mais cette puissance d'inattention trahit aussi, outre nos refus de voir et nos lâchetés partagées, l'anesthésie d'une sensibilité sur-sollicitée par l'information continue.
Observer l'insensibilité, c'est aussi entrevoir d'autres formes de sensibilités, parfois plus aiguës, plus intenses. L'insensibilité d'ailleurs, loin d'être seulement subie, peut être aussi désirée. Elle relève alors d'un travail, d'un façonnement des esprits et des conduites. Qu'il s'agisse des techniques d'endurcissement enseignées dans les casernes, de la distance émotionnelle minimale nécessaire aux soignants à l'hôpital ou encore de la surdité des savants à la souffrance animale dans leurs laboratoires. Plus paroxystique encore : celle de l'ascète, qui s'élève grâce à la négation de son corps ; celle du bourreau, qui ne s'exécute qu'en voulant congédier l'émotion.
L'insensibilité, degré zéro de la sensibilité, vraiment ?
Ouvrir l'histoire nationale au « grand large » pour appréhender la complexité de la formation de l'État-nation français depuis le XVIIIe siècle, c'est le pari des historiennes et historiens qui ont pensé et réalisé cet ouvrage. Outre que celui-ci poursuit la perspective d'une histoire moins centrée sur l'exceptionnalisme supposé de l'Hexagone, il est surtout le premier à resituer systématiquement la France dans le contexte global. Et à produire ainsi un autre récit faisant voler en éclats le grand « récit national » ; un récit ouvert aux expériences du monde comme à ses multiples zones de friction ; un récit qui, loin de dissoudre le cadre national, montre qu'on ne peut comprendre la mise en place d'un État-nation qu'en le saisissant dans ses dynamiques à la fois internes et externes.
Empruntant aux histoires transnationales, impériales et globales, cet ouvrage montre la place prépondérante de l'impérialisme « informel » français dans la globalisation ; inscrit la Révolution dans les circulations politiques des Amériques jusqu'à l'Asie, en tenant compte des effets retour ; saisit l'histoire industrielle à partir de son insertion dans les évolutions multiformes du capitalisme mondial ; intègre l'État « moderne » dans le processus d'expansion des administrations à l'échelle transcontinentale ; ou encore montre que l'art « français » doit beaucoup aux circulations internationales avec les autres pôles de référence culturels, comme l'Allemagne puis les États-Unis...
De quoi bouleverser quelques-unes de nos certitudes les plus établies sur l'histoire de France.
Et si l'histoire avait suivi un autre cours ? Quentin Deluermoz et Pierre Singaravélou prennent la question à bras le corps et mènent l'enquête au sein d'une vaste littérature pour saisir la diversité des usages de l'analyse contrefactuelle - des fictions uchroniques les plus loufoques aux hypothèses scientifiques les plus sérieuses. Ils s'attachent à cerner précisément les conditions d'un usage légitime et pertinent pour les sciences sociales, repensant les enjeux de la causalité et de la vérité, des rapports entre histoire et fiction, entre déterminisme et contingence. Une réflexion ambitieuse et novatrice sur l'écriture de l'histoire, sa définition et sa mise en partage.
Que se passe-t-il lorsque, en situation de guerre civile, au coeur du familier, s'évanouit la familiarité ? Dans une maison pleine d'ennemis, en ce point zéro du politique où la discrimination entre l'ami et l'ennemi n'a plus nulle évidence ?
Cet ouvrage interdisciplinaire, en examinant plusieurs situations de guerre civile allant du XVIe siècle à nos jours, de la France à la Chine en passant par l'Algérie, entend ainsi interroger ce qu'il advient quand le voisin peut vous égorger, le boucher vous empoisonner, votre accent vous trahir, le fils dénoncer et la rue, naguère familière, se faire guet-apens : « Car en matière de guerres intestines, écrit Montaigne au XVIe siècle, votre valet peut être du parti que vous craignez. » Dans cet univers chaotique, l'espace, mais aussi la langue, les amis, les objets - le sens commun en un mot -, se dérobent, cessent d'être immédiatement appropriables, et nécessitent d'être constamment redéfinis. À l'inverse, le fonctionnement social en « période normale » se caractérise par un haut degré d'implicite. Une part essentielle des règles, des conduites à tenir, des préséances à respecter, des itinéraires à emprunter, le sens des mots, leur prononciation, les identités à reconnaître, tout cela va de soi ou, mieux, indiffère. Ce qu'il faut faire, ou dire, n'a, dans le cours ordinaire de l'existence, nul besoin d'être affiché, mais se joue le plus souvent en silence, dans les ajustements tacites que l'habitus ou le « sens commun » permettent d'opérer.
C'est ce sens commun ordinaire du cours des choses, qui n'est certes pas sans conflits, que la guerre civile, en déchirant le partage entre implicite et exigence d'explicitation, vient révéler dans sa profondeur. En ce sens, cet ouvrage propose non seulement un mode d'enquête sur l'expérience intime et sociale de la guerre civile, avec sa désagrégation et ses réajustements imposés, mais il offre aussi une réflexion sur la manière dont les ordres sociaux pénètrent et organisent la toile ordinaire des existences, autrement dit sur la manière dont le social fait corps, résiste, ou cède.
Préface de Patrick Boucheron et postface de Gilles Dorronsoro :
Contributions de Michael J. Braddick, Thomas Chopard, Élisabeth Claverie, Quentin Deluermoz, Jérémie Ferrer-Bartomeu, Jérémie Foa, Laurent Gayer, Aïda Kanafani-Zahar, Nida Kirmani, Jean-Clément Martin, Tobie Meyer-Fong, Malika Rahal, Stellio Rolland, Mercedes Yusta Rodrigo et Sophie Wahnich.
Tout au long du XIXe siècle, la France a vécu au rythme des insurrections. Qu'elles aient été transformées en révolutions ou qu'elles aient été éteintes, réprimées, trahies, les insurrections ont modelé le rapport à l'histoire en train de s'écrire. Ce livre se propose de reprendre à nouveaux frais une double question dont les enjeux sont profonds : ce que l'insurrection, temps d'ouverture des possibles, espérés ou craints, fait à l'écriture et à la littérature ; ce que la littérature, ses auteurs, ses topiques, fait dans le temps insurrectionnel. Comment les moments insurrectionnels ont-ils redéfini la fonction et le statut d'écrivains comme Jules Vallès, Eugène Sue et Louise Michel, d'un genre comme les mémoires de protagonistes de l'insurrection, d'un médium comme l'affiche ? Comment les discours littéraire et historien travaillent-ils l'insurrection, pendant et après l'évènement, au moyen de quelles mises en intrigue, de quelles mises en forme particulières et avec quelle efficacité ? Quelles rencontres peut-on observer, par exemple, entre le Dumas des journaux de 1848, le Hugo des Misérables et le Michelet de l'Histoire de la révolution française ? Quel sens, enfin, donner aux prises d'écriture anonymes, par lesquelles les acteurs tentent de s'inscrire dans l'histoire ? Historiens et littéraires, à parts égales, ont été invités à répondre à ces questions. Partant de cas d'études qui empruntent tant à la Grande révolution de 1789-1794 qu'aux insurrections de 1848 et à la Commune de Paris, les articles qui composent cet ouvrage montrent qu'il existe bien à cette époque un lien fort entre littérature et insurrection qui doit être repensé.
Le discours sur le métissage est à la mode, mais qu'entendre réellement par là ? L'ouvrage examine la généalogie de ce concept, il s'attarde sur sa polysémie et ses limites en étudiant son usage dans de nombreux domaines : le corps, la littérature, la religion, etc. Les contributions portent sur les dimensions culturelle, territoriale et politique (identitaire) de cette notion, dans de nombreux pays et à des époques très différentes. Au-delà, elles montrent comment considérer le métissage comme un concept opératoire en sciences sociales.
Avec le soutien de Pléiade/CRESC et du conseil scientifique de l'université Paris 13.