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Atelier Contemporain
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Avant de rencontrer « l'ange terrifiant » des Élégies de Duino, achevées en 1922, Rainer Maria Rilke avait croisé le regard énigmatique des anges qui peuplent la peinture italienne, regard faisant signe vers « le paysage qui brille derrière eux comme une âme qu'ils possèdent en commun ». Des deux Lettres de Munich sur l'art en 1897 aux Lettres sur Cézanne en 1907, le poète de langue allemande a éprouvé sa prose au contact des arts visuels, à travers une vingtaine d'études, toutes recueillies dans cette édition, comprenant sept inédits en français. Au cours de cette décennie formatrice, il porta attention tant aux artistes du passé, comme Léonard de Vinci, Fra Bartolomeo, ou Marco Basaiti, qu'aux artistes de son temps, comme Auguste Rodin et Paul Cézanne, mais aussi Heinrich Vogeler et Otto Modersohn, ou, quoiqu'il ne leur consacra directement aucune étude, Clara Westhoff et Paula Modersohn-Becker, qu'il rencontra au sein de la communauté de Worpswede. Écrire sur les arts, il le dit souvent, c'est avant tout chercher à « ne pas juger ». Être juste, c'est retrouver dans chaque oeuvre l'étrangeté fascinante de chaque existence singulière, par-delà raisons et fins. « C'est ainsi que doivent être vues les oeuvres d'art : comme de vastes paysages solitaires aux ciels en hautes voûtes, comme de grands arbres sombres, comme des mers s'étendant calmement dans le soir, comme des maisons au loin dans des plaines, comme de beaux enfants qui dorment ou de jeunes animaux qui tètent, comme mille choses de cette vie éternelle et intemporelle que le jour ignore et que l'heure affairée laisse de côté. » Dans cette façon étrange qu'ils peuvent avoir de renouer avec la vie cosmique, les arts ont, pour le jeune Rainer Maria Rilke, une portée prophétique, voire messianique. Ils annoncent une vie « qui ne peut pas encore être vécue aujourd'hui », une vie à venir, une vie nouvelle. En attendant, il reste à faire l'effort, chaque fois, de s'ouvrir à ce qu'on voit, de se défaire du sentiment de peur devant ce qu'on ne comprend pas. « Nous aurons à nous arrêter souvent devant l'inconnu », dit-il.
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La, il y aura oracle : Pour André Masson
Bernard Noël
- Atelier Contemporain
- Studiolo
- 5 Avril 2024
- 9782850351501
L'art fut une source inépuisable de réflexion et d'écriture pour Bernard Noël, dont le travail sur le regard est essentiel. L'oeuvre d'André Masson a constitué un vivier particulièrement fécond puisqu'il lui a consacré une monographie, un récit-monologue à partir des autoportraits ainsi que de nombreux autres écrits. Ce volume rassemble ses onze textes critiques sur Masson, parus entre 1985 et 2010. L'Atelier contemporain réalise là un projet d'édition que l'auteur avait lui-même en tête dès 1995 et qui n'avait pu voir le jour. Noël considère Masson comme «?un peintre majeur du XXe siècle?» et «?l'un des très grands dessinateurs de notre temps?». Grièvement blessé lors de la Grande Guerre, l'artiste crée dans une urgence vitale pour exprimer son tumulte intime. Bernard Noël compare le geste automatique d'André Masson à un «?sismographe de pulsions internes?». Mais cette spontanéité a la particularité d'être nourrie d'une intense recherche intellectuelle. Le peintre entretient ainsi en lui «?un court-circuit constant entre la culture avec ses éclaircies et l'animalité profonde avec ses pulsions obscures. Son graphisme est en quelque sorte l'éclair électrique - la décharge - résultant de ces commotions entretenues et provoquées.?». C'est ce que Noël appelle «?la main-cerveau?» de Masson?; elle combine corps organique et corps culturel en réussissant à «?rétablir l'origine de la pensée dans la chair?», une démarche qui le touche car elle rejoint la sienne en tant qu'écrivain. Son admiration pour l'artiste s'augmente de ce qu'il fut l'ami de Georges Bataille qui lui est cher. Il consacre d'ailleurs un texte au lien entre ces deux êtres excessifs qui voulaient chacun franchir les limites de leur art en engageant «?tout ce qu'ils savent vers ce qu'ils ne savent pas?». Étonnamment, Bernard Noël n'a jamais rencontré André Masson mais par le travail verbal, il parvient à capter son énergie à la fois tellurique et pensive, si bien que Guite et Diego Masson lui écrivent, à propos de l'un de ses textes?: «?Vous nous faites retrouver l'homme avec une réalité fulgurante.?»
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Art brut et créateurs d'art brut
Jean Dubuffet
- Atelier Contemporain
- Studiolo
- 20 Octobre 2023
- 9782850351327
L'Art Brut est « farouche et furtif comme une biche », écrivait Jean Dubuffet, au contraire de « l'art coutumier », dont on parle le plus souvent quand on parle d'art, qu'il soit classique, romantique, baroque, moderne... Le second est du côté de l'empaillé, de l'ordonné. Le premier est du côté du sauvage, de l'insaisissable. Il est difficile cependant d'en dire plus de l'Art Brut, sans « le tuer presque ». Pour qu'il ne se retrouve pas à son tour pris dans l'étau des normes culturelles imposée par l'élite sociale, Jean Dubuffet voulait inventer une manière de ne pas définir l'Art Brut. Il insiste sur cela dès 1947, avec son sens de la provocation : « Formuler ce qu'il est cet Art Brut, sûr que ce n'est pas mon affaire. Définir une chose - or déjà l'isoler - c'est l'abîmer beaucoup. C'est la tuer presque». Les façons de ne pas définir l'Art Brut, pour Dubuffet, sont nombreuses, prolixes, parfois contradictoires, de façon revendiquée. C'est ce que le présent volume donne à comprendre, rassemblant l'ensemble de ses écrits sur la question, de 1945 et 1985. Réflexions pour la Compagnie de l'Art Brut qu'il fonde en 1948 à Paris, lettres à André Bretons, aux personnalités du monde psychiatrique Jean Oury ou Jacqueline Porret-Forel, mais aussi hommages aux oeuvres de Paul End, Clément, Joseph Heu, Berthe U, Aloïse, Laure- : multiples sont les directions de sa pensée, qui se veut toujours ouverte. Si l'on ne peut affirmer ce qu'est l'Art Brut, il reste qu'on peut se mouvoir théoriquement sur les traces d'une pluralité de pratiques. « N'importe quelle affirmation, si on la maintient sur un long parcours, se change en absurdité. Je crois que la pensée n'obtient de fruits utilisables qu'en se constituant en circulation plurielle, par étages qui se superposent, comme le sens des voitures sur les voies étagées de Tokyo », disait encore Dubuffet. C'est bien de cette manière non univoque qu'il envisage l'Art Brut, comme les voies rapides qui traversent une métropole, se croisent, bifurquent, spiralent, portant attention au flux incessant de lueurs dans la nuit et à chaque « déchaînement d'ingéniosité et d'innovation » dans sa singularité.
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L'art, c'est la vérité absolue
Constantin Brancusi
- Atelier Contemporain
- Studiolo
- 5 Avril 2024
- 9782850351495
Les propos, aphorismes, et phrases éparses du sculpteur Constantin Brancusi se trouvent pour la première fois rassemblés dans ce volume. Qui est, de ce fait, d'une importance essentielle pour la recherche en histoire de l'art, mais aussi pour quiconque souhaite approfondir la connaissance de cette oeuvre qui fut à la pointe du modernisme, dans la première moitié du XXe siècle. Le sculpteur roumain naturalisé français n'a cessé d'écrire, dans sa langue maternelle mais aussi en français, d'une plume concise et vibrante?: sur des pages de carnets, des bouts d'enveloppes, des papiers volants. Ce sont ces notes d'atelier que nous donne à lire l'édition érudite de Doïna Lemny, historienne de l'art et conservatrice au Centre Georges Pompidou. Cela s'inscrit dans le sillage d'une recherche et d'une passion de longue date, dont témoignent plusieurs ouvrages : entre autres, avec Marielle Tabart, Brancusi, L'Atelier - la collection, Paris, aux éditions du Centre Pompidou en 1997, et La Dation Brancusi - Dessins et archives, aux mêmes éditions, en 2003. Si divers «?propos?» de Constantin Brancusi avaient été publiés de son vivant, notamment dans les catalogues des deux expositions que Marcel Duchamp organisa pour son ami à la Brummer Gallery de New York en 1926 et en 1933, ses écrits se trouvent ici rassemblés pour la première fois de manière rigoureuse, et exhaustive, autant qu'il est possible de l'être. Après avoir parcouru les archives conservées dans le Fonds Brancusi à la Bibliothèque Kandinsky du Centre Georges Pompidou, Doïna Lemny a pris la décision de les reclasser selon leur contenu?: écrits autobiographiques, aphorismes, écrits sur l'art, réflexions sur la vie, historiettes, écrits divers, dont un scénario de film, écrits en roumain... C'est ce classement qui dicte les noms des différents chapitres de ce livre, dont certains reprennent des formules de l'artiste lui-même?: «?Aphorismes?», «?Essais d'autobiographie?», «?Écrits sur l'art?», «?Écrits sur la vie?», «?Écrits divers?», «?Essais littéraires?». Ainsi les Écrits sur l'art de Constantin Brancusi seront-ils une excellente initiation à son univers esthétique, éthique, voire ésotérique, alors qu'une grande exposition lui sera consacrée au Centre Georges Pompidou au printemps 2024. Sa langue maternelle étant le roumain, Constantin Brancusi n'avait certes pas la même aisance à manier le français que ses amis français Marcel Duchamp ou Henri-Pierre Roché, et cette édition est d'ailleurs fidèle à ses maladresses et à ses ratures, qui participent de la dimension incisive et sauvage de sa pensée. Mais il s'était constitué un univers philosophique cohérent et fascinant, fondé sur son expérience singulière de la vie et de la création. Comme le note Doïna Lemny dans son éclairante introduction, «?tous ceux qui ont rencontré Brancusi témoignent de leur admiration pour ses réflexions, parfois résumées sous forme d'aphorismes, sur la vie, sur l'art, sur la création, qu'il énonçait et qui prenaient une charge émotionnelle lorsqu'elles résonnaient dans l'ambiance mystérieuse de son atelier.?» Ces notes d'atelier témoignent aussi bien de considérations morales que de considérations esthétiques, notamment à propos de la forme des pyramides égyptiennes, dont l'enseignement était pour lui inépuisable?: «?Dans mon monde, il n'y a plus de lutte pour un place plus haute - la pyramide est démolie, et le champ est infini. Ici chacun est avec ce qu'il est venu : à sa place, il n'est ni plus grand, ni plus petit ; il n'a ni plus de mérite, ni plus de défaut, il est ce qu'il est, ce n'est pas lui qui s'est fait.?» Qui plus est, ces notes témoignent non seulement d'une exigeante quête personnelle, mais aussi de l'atmosphère artistique parisienne qui a vu naître le courant moderniste. L'atelier de Constantin Brancusi était un lieu de rencontre, dans les années 1920, pour Marcel Duchamp, Francis Picabia, Tristan Tzara, Erik Satie, «?qui improvisaient là de vrais débats sur l'art, la vie culturelle, la musique, Dada?», comme le rappelle Doïna Lemny. La plupart ont laissé des notes rapportant les propos du sculpteur, qui furent publiées plus tard, dans des magazines de l'époque ou des livres de souvenirs. C'est pourquoi à cette présente édition des écrits de l'artiste s'ajoutent quelques textes historiques importants, publiés de son vivant par des amis, écrivains, artistes et journalistes, qui l'ont bien connu, qui ont pu s'entretenir avec lui, et qui déjà s'étaient fait les passeurs de sa parole?: Paul Morand, Roger Vitrac, Dorothy Dudley, Irène Codréano, Marcel Mihalovici, Beatrice Wood.
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Un sentiment qui tient le mur : notes et propos sur la peinture
Pierre Bonnard
- Atelier Contemporain
- Studiolo
- 20 Octobre 2023
- 9782850351303
Pierre Bonnard était un « poète fervent de la
vie brève, un célébrant du passage », comme le
dit Alain Lévêque, dans son introduction à cette
édition des écrits du peintre, réunissant ses notes et les entretiens qu'il donna à la presse. Pages d'agendas allant à l'essentiel en quelques mots, notes de carnets sous forme d'aphorismes dépouillés de grandiloquence, hommages à ses compagnons peintres, comme Maurice Denis, son ami du mouvement nabi, nommé selon le terme arabe qui signifie « ravi dans une extase », mais aussi Odilon Redon, Paul Signac ou Auguste Renoir : sa parole fut autant laconique que prolixe, ouvrant de multiples brèches pour consentir à « la vision brute », pour retrouver « une vision animale ». « Vous avez une petite note de charme, ne la négligez pas. Vous rencontrerez peut-être des peintres plus forts que vous, mais ce don est précieux. » Telles furent les paroles d'Auguste Renoir à Pierre Bonnard, alors jeune peintre inconnu, qui disent bien ce qui, dans la vision, dans les couleurs comme dans les formes, ne s'explique pas : cette « petite note de charme », précieuse, que le peintre n'a cessé de cultiver. Cela s'éclaire un peu, néanmoins, dans la définition que donne Bonnard du « peintre de sentiment », qu'il rêva d'être : « Cet artiste, on l'imagine passant beaucoup de temps à ne rien faire qu'à regarder autour de lui et en lui.
C'est un oiseau rare. » -
L'appareil photographique a été conçu pour produire une image conforme aux normes figuratives issues de la Renaissance. Cette hérédité culturelle le rend en principe inapproprié à l'Art Brut, ce « déchaînement d'ingéniosité et d'innovation » qui fait dérailler les normes esthétiques, selon Jean Dubuffet. Cependant, les « photographes bruts » ont pour particularité de rater leurs clichés chacun à sa manière - et c'est un ratage réussi, qui met en évidence le fonctionnement de ce formatage culturel de nos images et, consécutivement, de notre perception. Ainsi l'« effet de réel », prioritairement imputable à la photographie, peut-il être perturbé par la folie, la maladresse, la perversion, la superstition, la cécité même. Telle est la contre perspective adoptée dans cet ouvrage sur une créativité séculaire, mais généralement anonyme, modeste, si ce n'est clandestine, récemment mise au jour en études photographiques.
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Ce volume consacré aux « arts modestes » est une invitation à déambuler dans nos sociétés consuméristes comme s'il s'agissait d'étranges musées, où s'accumulent sans cesse, sans classement, sans hiérarchies, une infinité de choses dignes malgré tout d'attention.
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Le 8 février 1832, Ruskin reçoit pour son anniversaire un livre illustré par Turner. Le jeune garçon n'a que treize ans, mais la passion qui prend naissance ce jour-là ne s'éteindra jamais. Il en sortira un texte unique, flamboyant, proliférant, sans cesse repris, jamais achevé?: Modern Painters / Les peintres modernes. Entrepris pour défendre Turner contre ses détracteurs, poursuivi sur une période de dix-sept ans, il donne du peintre une image de plus en plus riche et complexe. Voici les parties les plus représentatives de ce chef-d'oeuvre du romantisme anglais, où Turner apparaît tour à tour comme un observateur scrupuleux de la nature, un poète et un prophète de la décadence du monde industriel. La lecture de Ruskin reste la voie royale pour accéder à la peinture de Turner. La méthode de Ruskin fait en effet une place de choix à la sensibilité, car montrer la supériorité de Turner comme chantre de la nature, c'est d'abord constater la consonnance entre ses tableaux et la vision de l'écrivain, telle qu'elle s'exprime dans les pages du journal et dans les textes descriptifs qui ont constitué une large part de la réputation de Ruskin. Ce n'est qu'ensuite que les références scientifiques viennent servir de caution à cette communion des sensibilités. En sens inverse, après avoir servi de modèle au dessinateur, Turner sert de norme au spectateur ; après avoir traduit ses émotions, il les canalise et offre une référence à son regard : d'un tableau de Turner on dira que «c'est la nature», et d'un spectacle naturel que «c'est un Turner». La vertu du regard de Ruskin, son acuité, est le reflet de la vertu de la main de Turner, son exactitude.Le critique et l'artiste concélèbrent l'office du visible. Les Peintres Modernes obéissent donc à un besoin de totalisation permanente - de connaissances toujours plus riches, d'une expérience jamais achevée - qui fait de Ruskin un «commentateur de l'infini». Et ce besoin prend une double forme : enseignement et prédication. À ce moment de sa carrière, Ruskin trouve dans son livre une estrade et une chaire. Par la suite, il montera pour de bon à la tribune donner les conférences qui seront les chapitres de ses livres futurs. C'est peut-être comme apologiste du regard que Ruskin a le plus à nous dire quand il nous parle de Turner. Écrire sur l'art, c'est d'abvord fair droit au regard?: «?voir clairement, c'est à la fois la poésie, la prophétie, la religion?».
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En dépit de l'absence de vestiges (les plus anciens tatouages conservés de corps momifiés datent de 3000 ans avant J.-C.), plusieurs indices semblent accréditer l'idée que l'homme a pris son propre corps pour premier support de la peinture. Malgré la richesse et l'extraordinaire variété des décorations corporelles dans toutes les sociétés dites «primitives», il est possible de déterminer certaines fonctions générales nettement distinctes?: Les peintures corporelles, qui ont un caractère éphémère, et qui sont associées à des fêtes, des cérémonies, des pratiques magiques. Elles nous font pénétrer dans le domaine du sacré, c'est-à-dire de la transgression rituelle des tabous. Aussi manifestent-elles des dispositions psychiques qui, dans la culture occidentale, sont réprimées ou affectées d'un caractère psychotique. Les marques les plus durables, par tatouage ou scarification, qui équivalent à une inscription sur le corps de l'ordre culturel de la communauté et de la situation sociale des individus. Avec l'invention de l'écriture et la constitution des États, l'inscription est transférée du corps des individus à une peau plus anonyme?: le parchemin. Le corps, pour être désormais intact, n'en est pas moins l'objet de retouches visant à l'assujettir à sa propre image: cosmétique, maquillage et opérations esthétiques de toute nature. La séduction joue sur la limite entre l'occultation et l'aveu de ces artifices. Cependant, la marque corporelle est délibérément assumée dans certains domaines marginaux?: le tatouage des forçats, des aventuriers, des prostituées, le maquillage des acteurs et des clowns, le grimage des enfants, etc. L'évolution de la. peinture moderne peut être interprétée comme la réactivation anti-illusionniste de l'épiderme de la toile. De fait, au terme de cette évolution, le corps est à nouveau assumé dans sa fonction de support originel de la peinture, notamment dans les mouvements du Body Art et du Transvestisme.
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Hokusai ou l'horizon sensible
Kenneth White
- Atelier Contemporain
- Studiolo
- 5 Février 2021
- 9782850350252
En 1990, cent ans après Edmond de Goncourt, auteur de la première monographie européenne jamais consacrée à un peintre japonais, Kenneth White estimait que « les temps étaient sans doute mûrs pour un essai (genre à la fois informé, pensant, poétique et rapide) sur Hokusaï, qui, tout en puisant dans une masse énorme d'études historiques, socioculturelles et iconographiques, essaie de dégager l'espace propre à Hokusaï et d'ouvrir des perspectives ». C'était nommer à la lettre son ambition et son accomplissement.
Trente ans plus tard, cette coupe transversale dans l'oeuvre de l'artiste continue de fournir une introduction idéale.
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Les tentations : de Jérôme Bosch à Salvador Dalí
Frédérick Tristan
- Atelier Contemporain
- Studiolo
- 17 Février 2023
- 9782850350955
Saint Antoine, l'ermite du désert égyptien, a fasciné l'Occident. Que faisait-il donc dans ce tombeau, dans ce château en ruines, dans cette grotte à flanc de montagne?? Qui étaient ces démons qui, par légions, venaient le tenter?? Et qu'est-ce, au juste, que la tentation?? Frédérik Tristan a suivi la genèse d'Antoine, depuis la biographie qu'écrivit saint Athanase jusqu'à l'oeuvre célèbre de Flaubert, en passant par les croyances populaires, la démonologie, la mystique flamande, et tous ces innombrables peintres qui de Jérôme Bosch à Salvador Dali furent exaltés par le sujet. En fait, saint Antoine est l'un de ces grands personnages mythiques dans lesquels l'Occident se reconnaît. Les tentations qui l'assaillent sont celles de notre civilisation tout entière?: l'argent, la femme, le monde, et aussi ces autres mondes labyrinthiques, réels ou imaginaires, où se complut le génie européen du Moyen Age à nos jours. Don Juan et Faust ne sont autres que l'antithèse d'Antoine?; car, comme Bosch et Flaubert l'ont compris, la tentation suprême de l'homme occidental tient dans l'équation rusée de l'intelligence et de la bêtise. Cette étude vivante sur saint Antoine, ses hantises tantôt graves, tantôt burlesques, est une excellente introduction à une analyse nouvelle de l'homme d'aujourd'hui. Avec audace, invention, verve et pittoresque, ce thème a inspiré, du XIVe siècle à nos jours, des artistes aussi différents que Bosch et Cranach, Grünewald et Tiepolo, Véronèse et le Tintoret, Callot et Teniers, Fantin-Latour et Odilon Redon, Khnopff et Dali, Rodin et Max Ernst.
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On connaît la série d'entretiens que Francis Bacon accorda à David Sylvester entre 1962 et 1986.
Après la mort de l'artiste en 1992, le critique, qui, de ses propres dires, n'avait jamais trouvé en près de cinquante ans la distance nécessaire pour consacrer à son ami une étude critique d'ampleur, sentit « s'ouvrir les vannes » : le résultat fut ce Francis Bacon à nouveau, paru en 2000, traduit en 2006 par Jean Frémon aux éditions André Dimanche, et dans lequel, en un long regard rétrospectif qui embrasse aussi des toiles crues détruites et redécouvertes de manière posthume, Sylvester éprouve et synthétise près de soixante ans d'observations.
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« Dürer donne rendez-vous en l'an 2000. À présent que nous sommes à l'échéance annoncée, que reste-t-il à écrire de Dürer ? » Question bien légitime que celle qui inaugure Le Burin du graveur, publié pour la première fois il y a quarante ans en introduction d'une édition de L'OEuvre gravé complet (Hubschmidt & Bouret, 1980). Citant pour points de départ les études de Pierre du Colombier, Paul Vaisse ou encore Erwin Panofksy, qu'il nomme ses « matériaux », Alain Borer s'engage ouvertement dans un tour d'horizon ; et c'est armé d'une érudition considérable et d'un fécond esprit de synthèse qu'il réarpente, réagence et révèle les grandes lignes de la constellation Dürer.
Difficile par conséquent de résumer cette étude qui pourrait bien être à l'image du peintre luimême : monographique, certes, de même que se veut unique et inimitable l'auteur d'autoportraits marquant au sortir du Moyen-Âge la « prise de conscience de l'individu », l'« exaltation de la personnalité » et le « stade du miroir de la peinture » ;
Mais surtout profuse, effervescente, comme le sont les intérêts et les facettes de l'homme de la Renaissance.
On découvrira ou redécouvrira ainsi Dürer en voyageur, observateur et chroniqueur dans ses écrits et ses dessins ; collectionneur à la « curiosité tous azimuts » ; découvreur avide mais point avare de ses découvertes ; féru d'astrologie et de caractérologie ; théoricien pionnier ; mais aussi innovateur dans son métier, peintre maniaque, obsédé par « la perfection technique et l'idée même de beauté » ; orfèvre ; à la fois « humaniste, pieux et luthérien, bon époux et bon citoyen, sage comme une image » et auteur de lettres débordantes de gaudriole et de paillardise...
Ouvrage, en somme, qui loin de réduire Dürer au mince tracé d'une ligne claire, s'étoffe pour rendre compte de sa grandeur.
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Pieter de Hooch, un peintre à l'infinit
André Scala
- Atelier Contemporain
- Studiolo
- 6 Mai 2022
- 9782850350771
Pieter de Hooch (1629-1684(?)), un parmi tant d'autres peintres du siècle d'or néerlandais, qui ont surgi, avec leur manière d'apparence tranquille, d'un peuple se libérant des Espagnols, menant guerre sur guerre?: événement calme au milieu des turbulences. Les arts ont une existence fragile. Il dépend des caprices d'une époque qu'elle transforme les oeuvres dont elle hérite en objets de culture, en reportages sur les moeurs du passé, en manifestes d'une morale, en occasion de plus-value spéculative ou touristique. Lancés dans un monde qui n'a que faire d'eux, les tableaux deviennent des images. Ceux de Pieter de Hooch n'y ont pas échappé. De son temps, Pieter de Hooch répugnait au régime visuel dominant, aux emblèmes moralisants et surtout à l'art officiel de la province de Hollande, copie de l'antiquité romaine, lequel d'ailleurs l'a ignoré, lui et ses immenses collègues. Aussi devons-nous être sensibles au présent de l'art qui n'est ni tout à fait - les tableaux tout juste vernis, l'encre à peine sèche - le présent historique saisi rétrospectivement, ni vraiment l'éternité idéale prisée par une certaine philosophie, mais un autre présent, celui du peindre, pas du peint, la part d'infinitif de toute peinture, d'infinitif présent, qu'on tente de sentir avec les moyens du bord, ceux de notre temps. Comment aimer Pieter de Hooch sans être aux aguets de ses motifs toujours persévérants?: peindre des regards absents perdus dans le vague, des habitudes et des gens dans des intérieurs domestiques que leurs yeux dépaysent, produire un tiers-espace entre celui de la toile et celui du spectateur, figurer une durée momentanée dans des gestes indécis et pourtant familiers, inventer les arrière-cours de Delft comme fait pictural, etc. Tout cela sous le signe d'un dieu égaré dans le règne calviniste, Hermès, ange inspirant la recherche de ces fameux passages par des cadres, portes, porches, fenêtres et trouées, de plus en plus étroits dans le lointain.
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Dubuffet ou la révolution permanente
Michel Thévoz
- Atelier Contemporain
- Studiolo
- 6 Mai 2022
- 9782850350795
Dubuffet est resté longtemps paralysé par l'idée que l'art devait imiter l'art. Ce sont les auteurs d'Art Brut, découverts dans les années 40, qui l'ont engagé à n'accepter désormais de leçon de personne, et surtout pas d'oeuvres d'Art Brut. Non que Dubuffet se soit muré dans l'autisme. Disons que son inspiration, il l'a trouvée dans l'intimité des matières, de la terre, du gaz carbonique ou même de la radioactivité, plutôt que dans les tableaux de Van Gogh ou de Picasso. Pour cette raison, nous ne pouvions analyser cette oeuvre selon les procédures habituelles de l'histoire de l'art, c'est-à-dire par référence à la tradition et au contexte artistiques. Il fallait opérer transversalement à la discipline proprement esthétique.
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Oeuvres sans titre, sans auteur, les formes naturelles furent collectées à de nombreuses époques et dans différents lieux du monde. Universelles, elles apparaissent dans la diversité d'usages d'une pluralité de cultures comme les signatures matérielles d'invisibles forces, supports cultuels ou supports de contemplation, traits d'union entre le naturel et le surnaturel, le visible et l'invisible, mais surtout comme l'indice de préoccupations esthétiques. De l'homme de Néanderthal aux artistes contemporains, ces objets révèlent les rapports sensibles que nous entretenons avec les formes, les matières, et l'imaginaire lié aux substances naturelles. Séduisantes images venues des profondeurs de la terre, énigmatiques sculptures qui furent traces du vent, geste d'eau, leur réunion ouvre sur une interrogation, celle de la fabrication des apparences par le regard humain. Par notre regard, une masse confuse ou indéfinissable peut prendre forme. Ainsi, sans qu'ils aient été touchés par la main de l'homme, des objets non taillés, non modelés, bois fossile, cristal et liane deviennent matières à rêver. Leurs formes simples où composites semblent nier toute représentation du réel, mais c'est à celui qui les regarde que revient le privilège de leur donner sens. De même, parfois, faute de repères, notre imaginaire investit totalement les objets-témoins de cultures méconnues. Leurs formes revêtaient, à l'origine, une valeur esthétique, symbolique, rituelle ou autre, qui pour nous, demeure fréquemment hermétique; elles ne sont nullement silencieuses et constituent un lieu de mystère que le regard s'essaie à décrypter dans le plaisir des jeux de l'imagination. Ces objets, vestiges de cultures souvent inaccessibles, possèdent un pouvoir d'évocation qui affirme leur présence et force notre intérêt, notre mémoire, voire notre émotion, les faisant ainsi pénétrer dans le jeu des rencontres formelles. Mais nous pouvons disposer encore plus librement des objets de nature, objets sans auteur, car ils nous offrent un espace sans l'affirmation d'un acte créatif autonome. L'absence de repères marque ici l'absence de support dialectique?: peu nous importent les circonstances au cours desquelles ces éléments érodés, polis, patinés ou amalgamés se sont transformés en objets. Leur existence dépend d'un rapport profond avec celui qui les choisit, le regard du collecteur-collectionneur devenant l'acte essentiel, acte de création. C'est lui qui fonde ou qui annihile le pouvoir même de l'objet. Tout est lié à la qualité du regard, au rapport d'éligibilité qui s'établit. Sans doute faut-il quelque attention ou une capacité à être en état de fascination pour pénétrer ces pièces dont la densité et l'opacité font obstacle à une découverte facile et instantanée. C'est à celui qui les regarde qu'il convient de conquérir une expérience exceptionnelle. Ainsi ces objets permettent-ils de s'interroger sur les fondements de nos choix esthétiques - il n'est pas de regard pur ou objectif - et sur la genèse des oeuvres d'art. Que l'on considère les objets de nature comme étant en deçà ou au-delà de toute notion d'art, leur singularité en demeure saisissante: ils ne gênent nullement la spéculation esthétique, ils la stimulent. Dès lors qu'ils sont choisis, ramassés, donc déviés, pour pénétrer soit dans l'univers du sacré comme chez certains peuples d'Afrique ou d'Asie, ou dans le monde profane des collectionneurs, leur existence première trouve une autre nature. La diversité de ce type d'objets est sans limite. Il ne s'agit pas pour l'auteur de cet ouvrage d'établir un inventaire ou d'esquisser un panorama des objets de nature présentant quelque intérêt formel, ou suscitant la curiosité. Yves Le Fur se propose non pas de les isoler dans un hypothétique univers de «?formes absolues?», mais de les situer par rapport à notre regard sur les oeuvres d'art. Les «?oeuvres?» dont il est question ici ont acquis une dimension poétique ou spirituelle. N'est-ce pas notre vocation la plus secrète, transgresser les limites du définissable pour accéder peut-être, à l'intemporel??
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Géricault, généalogie de la peinture
Jérôme Thélot
- Atelier Contemporain
- Studiolo
- 5 Février 2021
- 9782850350337
On connaît Géricault pour ses peintures de chevaux transis par la foudre, pour ses portraits d'enfants les plus troublants de l'art français, pour ses têtes de fous qui n'ont aucun équivalent dans l'histoire de la peinture, et pour son immense tableau révolutionnaire et moderne, Le Radeau de la Méduse, chef-d'oeuvre du Romantisme et protestation de la vie jusque dans la mort. On sait aussi que sa vie fut brève et fulgurante, son oeuvre inachevée mais géniale, et que sa mémoire fut révérée par tous les artistes du XIXe siècle.
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Avec Magritte ne pourrait mieux porter son titre.
Réunissant en 1977, dix ans après la mort du peintre, les écrits qu'il lui avait consacrés entre les années 1940 et 1960, Louis Scutenaire immortalisait là une complicité de quarante ans, entre compagnonnage et « copinage ».
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Hans Holbein, maniérisme, anamorphose, parallaxe, postmodernite, etc.
Michel Thévoz
- Atelier Contemporain
- Studiolo
- 6 Mai 2022
- 9782850350788
Le XVIe siècle est anachronique. Si l'on entreprenait l'histoire de ses avatars à travers les âges, compte tenu de ses productions artistiques à effet retard, on constaterait qu'il se superpose curieusement au nôtre?; et même, qu'il nous le révèle pour en avoir été le chantier. Ainsi, l'oeuvre de Hans Holbein, virtuelle, en puissance, aura attendu notre postmodernité pour libérer son énergie symbolique. On pourrait dire d'une certaine manière que Holbein a été influencé par Andy Warhol, comme s'il avait pressenti une lecture postmoderne de ses oeuvres. Ce livre est un essai d'histoire de l'art inversée, qui substitue au déterminisme réducteur l'aimantation libératrice d'un regard futur? : le nôtre.
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Il est des livres de critique qui sont comme un apport versé aux oeuvres. Le lecteur y devine le parti-pris d'une sensibilité ;
Il comprend que l'auteur y manifeste sa vision singulière et que celle-ci instille dans les tableaux un principe insistant, retient et accentue certaines de leurs tendances, dépose à leur surface le glacis d'un regard. Mais cette vision est si persuasive, elle se glisse si harmonieusement parmi les formes de la peinture, les épouse si bien et les sublime à un tel degré, en un propos qui a pour lui, plus encore que la conformité d'une description, la vérité d'une écriture - on pardonne à l'auteur cette sorte de partialité, et même on lui en est reconnaissant. L'Ingres de Gaëtan Picon est de ces livres-là.
Parue en 1967 chez Skira, cette monographie pro-clame sans ambages le « génie » d'Ingres : génie précoce et immédiat, génie durable, comme soustrait aux atteintes du temps - mais aussi bien, génie faillible, inégal, qui aurait laissé derrière lui, à côté de portraits et de compositions « naturellement » infaillibles, des oeuvres « douteuses », des échecs. Or cette inconstance, nous dit Picon, loin de parler de façon univoque en défaveur de l'oeuvre, nous conduit en son coeur : « Si Ingres est un sujet privilégié, c'est que parler de lui nous imposant à la fois la perspective du constat et celle du jugement, nous sommes ramenés à cette vérité aujourd'hui assez méconnue que la cohérence de l'oeuvre, constatée et décrite comme système et nature, n'est rien d'autre que la réussite aléatoire d'une aventure. »
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Louis Soutter ou l'écriture du désir
Michel Thévoz
- Atelier Contemporain
- Studiolo
- 6 Mai 2022
- 9782850350801
La première partie de cette étude, intitulée «?Le suicide antérieur?», a un caractère documentaire et méthodologique. Elle commence par une biographie, dans laquelle nous avons inséré de nombreux témoignages directs de personnes qui ont connu Louis Soutter. Étant donné l'importance que peuvent prendre certaines déterminations psychologiques ou sociologiques en l'occurrence, nous nous sommes efforcés de rassembler le maximum de renseignements et de pratiquer le principe de non-omission, quitte à ce que certains traits paraissent insignifiants de prime abord. Nos sources biographiques sont, pour la quasi-totalité, des témoignages oraux dont nous citons les auteurs, sauf dans les cas qui exigent une certaine discrétion. Dans le deuxième chapitre de cette première partie, nous tentons une première interprétation psychologique et sociologique de ces documents, en marquant bien que, dans un cas aussi complexe, il ne saurait s'agir que de conjectures. Enfin, à travers la lecture critique des ouvrages et des textes déjà parus sur Louis Soutter, nous esquissons une vue d'ensemble de l'oeuvre et nous posons le problème de ses liaisons avec la tradition et le contexte artistiques, en ajoutant quelques considérations méthodologiques. La seconde partie, intitulée «?L'écriture du désir?», est consacrée à l'étude de l'élaboration graphique et des agents plastiques. Nous essayons de mettre en évidence l'origine psychomotrice de la ligne, les rapports de l'espace imaginaire avec celui du corps propre, la structure anagrammatique des figures, et l'analogie entre la scénographie des dessins et celle du rêve. Dans la troisième partie, «?La figure et le texte?», nous commençons par un recensement iconographique des principaux thèmes. Puis nous nous attachons à faire ressortir leur convertibilité métaphorique, ainsi que l'action sous-jacente de certains schèmes «?préfiguratifs?» qui assurent cette convertibilité. Enfin, après une analyse des rapports complexes entre les figures et les inscriptions, nous tentons de montrer que la production de Soutter dans son ensemble peut être assimilée à une écriture plastique indéfiniment expansive : son origine se perd dans les ténèbres psychophysiologiques, et elle poursuit son mouvement au-delà du dessin proprement dit dans la lecture qu'elle engage. Aussi excède-t-elle et met-elle en question les termes sur lesquels s'articule ordinairement l'analyse esthétique : l'oeuvre, l'artiste le réel.
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« Toute oeuvre de Beuys meurt en chemin, le seul fait de l'emballer, de l'enlever au sol, de figer son ordre établi autrefois perturbe le souvenir, profane la relation. La fugacité, tel est le problème de l'art de Beuys. » Cette observation de Markus Lüpertz énonce le sens et la nécessité de la Déploration de Joseph Beuys qu'Alain Borer signa en ouverture du catalogue de l'exposition posthume organisée au Centre Pompidou en 1994, ainsi que de sa réédition à part, aujourd'hui, à L'Atelier contemporain.
Plus le temps passe, en effet, plus s'éloigne cette oeuvre qui, ayant suscité le commentaire à l'égale des plus grandes du XXe siècle, a par rapport à elles le désavantage mais aussi la force singulière d'avoir été incarnée par son auteur. « OEuvre-vie », dans les termes de Borer, oeuvre faite chair, en actions et en discours, forcément inachevée, interrompue par la mort et appelant par conséquent le thrène, l'hommage, la commémoration, de même qu'elle suscita du vivant de l'artiste la fascination, voire l'idolâtrie.
Dans cette introduction érudite à une oeuvre qui « présentant tous les signes d'une complexité dérangeante, est de celles qui ne peuvent faire l'économie d'une large réflexion théorique », Alain Borer ne ménage pas inutilement le mythe. Relevant chez Beuys des traits sciemment christiques et, dans son parcours, une touche voulue de légende dorée, sa Déploration ne donne pas dans l'hagiographie ; elle nomme sans ergoter l'apparence de « rabâchage », voire de « flou artistique », et l'esprit de sérieux de cette « conférence permanente », contrepied total de l'art pour l'art. Mais l'examen attentif des problèmes soulevés par cet homme-oeuvre permet au tact et au talent de Borer de les surmonter en nommant l'ambition, inclassable à force d'être totalisante, qui lui confère ce qu'il faut bien appeler à plus d'un titre sa grandeur.
Analysant les travaux et les performances dans l'ensemble et dans le détail, explorant la figure de Beuys en cercles concentriques constituant autant d'avatars d'un artiste « pédagogue-berger-thérapeute-évolutionnairerévolutionnaire », l'hommage d'Alain Borer rend justice à celui qui fut l'auteur d'un concept d'art infatigablement élargi à toute la société ; qui vit en chaque homme un artiste attendant pour s'éveiller d'être reconduit aux principes manifestés par la vie et les matériaux naturels ; qui professa très tôt la nécessité de l'assainissement du rapport de l'humanité à son environnement ; et qui, armé d'une inlassable volonté de guérir son pays natal, ouvrit la voie à toute la génération d'artistes allemands de l'après-guerre.
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Aimer David, ce titre n'est pas pour Alain Jouffroy l'aveu d'une tocade mais l'énoncé d'un programme. Cet essai paru en 1989, pour les 200 ans de la Révolution et parallèlement à la grande rétrospective consacrée à David au Louvre, s'inscrit dans un plus vaste engagement de l'auteur pour, à l'encontre de la proclamation de la mort du sens sous la «?tyrannie esthético-morale du nihilisme?», renouer le fil d'une «?nouvelle peinture d'histoire?» signifiante dont il voit les continuateurs en certains peintres de la figuration narrative et, en David, le grand initiateur. Il s'agit donc de revenir à ce que fut ce dernier avant de devenir dans notre esprit le peintre des images glacées de nos livres d'histoire?: l'homme d'une révolution politique et esthétique. Cette défense et illustration de David est le fruit d'une subjectivité bien informée qui tour à tour célèbre des aspects méconnus du peintre et affronte sans ciller les reproches historiques qui lui sont adressés, en particulier son engagement passionné aux côtés de Robespierre en tant que député de la Convention et ses concessions à Bonaparte. Chapitre après chapitre, elle se présente sous la forme d'une lutte de points de vue (documents à l'appui en annexes) entre d'une part les adversaires de David, dans les tourments de son temps et par la suite, et d'autre part ses défenseurs?: Baudelaire, Delacroix, Apollinaire pour les plus éminents - ainsi, bien sûr, que Jouffroy lui-même. De tout cela se dégage l'image d'un peintre impulsif et bouillant, «?double?» de Sade, présent à son époque comme peu d'autres, peignant sur le champ de bataille de l'histoire à ses risques et périls, et à mille lieues de l'image courante d'un néo-classicisme froid. Alain Jouffroy admet sans ambages le caractère partisan de son entreprise. Mais ce faisant, il agit justement en puissant révélateur de ce que la réputation du peintre dissimule d'idéologie sous couvert de jugement esthétique, toute lecture de la Révolution française ayant par force des implications politiques, même deux siècles après. «?Aragon, oui?! Char, oui?! Breton, oui?! Claudel, non?!?»?: telle est, à l'extrême, la façon dont l'approche de David et de son temps donne matière à l'auteur pour affirmer une vision autre de notre histoire dans ses aspects politiques et artistiques et, du même coup, le recoupement impératif de ces deux champs.