Atrabile
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Grosse effervescence chez Dream Hackers, Agence Disruptive : la boîte vient de décrocher la campagne pour la Paucisse (Po-6), un nouveau substitut de viande à base de protéines de patates - et pas grave s''il n'y a pas vraiment de protéines dans la pomme de terre. Dream Hackers, c'est vraiment autre chose et y travailler est un privilège rare; alors oui, bosser sans meuble n'est pas si pratique, même si «le flex office informel facilite un workflow organique»... et puis ici, on est tous copains ! Certes, les mains baladeuses et les différences de salaires entre hommes et femmes rappellent les manières d'un vieux monde en apparence honni, mais bon, faut peut-être pas être trop pointilleux non plus ? Tout irait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes, si les rumeurs d'une restructuration prochaine n'allaient ébranler les certitudes et délier les langues lors d'un afterwork un peu arrosé.
Pour son premier livre traduit en français, Ulla Donner, autrice finlandaise, tape fort et ne retient pas ses coups. Dans cette satire du monde de l'entreprise à l'humour mordant, chacun en prend pour son grade, des moralistes de circonstance aux opportunistes à tous crins, et tout au long de ces belles pages au bleu profond, ça dézingue sévèrement - et on en redemande. L'humour, cette «politesse du désespoir» semble servir ici de bouée de sauvetage pour un monde rongé par ses paradoxes, et son hypocrisie.
Saleté ! a reçu le Prix Finlandia du Meilleur roman graphique de l'année. -
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Le Prince Gourignot de Fouët est bien malheureux, et pour cause, le voilà transformé en grenouille. Rien ne l'avait préparé à cet état, ni au complot fomenté dans son dos, dans le but de le destituer. Un seigneur qui tombe, c'est un peu de démocratie qui s'installe... quoique... Pendant ce temps, la valeureuse Gounelle, chevalière de son état, s'en va délivrer la princesse Patin à la peau d'albâtre et affronter le dragon qui la garde, mais pour elles deux, le chemin du retour sera bien long, sinueux, semé d'embûches, mais aussi de découvertes. Si l'on rajoute une salamandre hallucinée, une sorcière acariâtre, un ménestrel insupportable et des grenouilles mélomanes, on commence à avoir une petite idée de la folie pure qu'est Ballades, le premier livre de Camille Potte, et on vous le dit comme on le pense, assurément un des livres les plus drôles et attachants de l'année.
Faisant fi des modes, Camille Potte travaille dans Ballades une esthétique tout en rondeur, organique, qui évoque les années 70, l'underground, F'murrr et Vaughn Bodé. Mais derrière ces influences graphiques issues du passé, se cache un récit aux propos d'une grande modernité, et si la farce est irrésistible, c'est aussi pour mieux nous parler de féminisme, de démocratie, d'injonctions et de mille choses encore... Et puis il y a les grenouilles ! -
Procrastination, quand tu nous tiens !
La journée est passée bien trop vite, entre réseaux sociaux, télé, lecture et ressassement, et, à 23 h, alors qu'elle balade son chien Kuma, Jolanda doit se rendre à l'évidence: ce coup-ci c'est foutu, l'examen de maths prévu demain matin va être un massacre. A moins qu'elle ne trouve une bonne excuse pour sécher... comme perdre son chien ? Une nouvelle chance de passer son examen et de réussir son année va alors s'offrir à Jolanda, mais saura-t-elle seulement la saisir... et surtout, bordel, où est passé ce clebs ?
Sur une trame fine comme du papier à cigarette, Michael Furler dresse un portrait d'adolescente parmi les plus justes, authentiques, drôles, que l'on a pu lire depuis bien longtemps. Quant à la forme, elle est tout simplement dingue, survoltée, foisonnante, inventive, et participe avec brio à dire toute la confusion et toutes les émotions qui peuvent traverser l'esprit en ébullition d'un adolescent d'aujourd'hui.
Michael Furler est un dessinateur et illustrateur suisse ; il travaille régulièrement pour la presse en Suisse et à l'international (Neue Zürcher Zeitung, New York Times, etc.).
Aux Abois, émeraude rare et précieuse, est sa première bande dessinée. -
« Bon, la dégaine du personnage, on verra plus tard... Pour l'instant je l'imagine vaguement avec ma tête, c'est plus facile... ».
Oleg est dessinateur de bande dessinée. Son quotidien, depuis plus de vingt ans, tourne autour de ça: dessiner, raconter. Et tout ceci coule naturellement, jusqu'à maintenant, jusqu'à ces jours récents, où la création semble patiner, où les projets se succèdent mais la conviction n'est plus vraiment là - comme si quelque part, « l'influx était perdu ». Alors Oleg creuse, cherche et réfléchit. Autour d'Oleg, il y le grand et vaste monde, rapide, changeant, moderne, déstabilisant, inexorable. Ermite assumé mais observateur attentif, Oleg est le témoin malgré lui de ce monde en perpétuelles mutations, un monde qui amène son lot d'événements et de surprises, bonnes comme mauvaises. Et puis surtout il y son petit monde à lui: la femme dont il partage la vie depuis deux décennies, et leur fille, en pleine adolescence.
Tout juste vingt ans après Pilules bleues, Frederik Peeters se raconte à nouveau mais troque le «je» pour le «il», et, en utilisant cet avatar qu'est Oleg, brouille les pistes et esquive le piège de la trivialité. A travers ces chroniques, tour à tour drôles, incisives, touchantes, voire surprenantes, il lève ainsi (partiellement) le voile sur son métier et son quotidien de dessinateur, et se faisant, pointe nombre de contradictions qui hantent notre époque: ultra-modernité technologique et pensée réactionnaire, culte de la superficialité et quête d'authenticité, surabondance et désarroi.
Mais on pourra aussi, tout simplement, lire Oleg comme une belle déclaration d'amour que fait l'auteur à celles qui lui sont le plus proches - et comme un rappel, dépourvu de mièvrerie, que c'est cette force-là qui nous permet de sublimer le banal, et de tenir face à l'adversité.
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Ce qui impressionne toujours chez Aurélie William Levaux, c'est son incroyable faculté à brasser large, et à aborder tous les sujets dans un chaos qui n'est qu'apparent; qu'elle écrive sur l'enseignement, Gaza, les gilets jaunes, l'OTAN, les scannettes, BHL, on en passe et des meilleurs, c'est toujours avec la même plume, piquante, acide, partant du plus petit détail pour nous emmener un peu plus loin, voire plus haut, là où les contours des choses se distinguent mieux.
Dans New Rural Wave, elle quitte la ville pour se réfugier dans la campagne, en Haute-Patate, à la recherche de... quoi exactement ? La sérénité ? La tranquillité ? Mais l'autrice n'est toujours pas apaisée, ni même assagie, et son envie de prendre le monde comme punching-ball reste intacte. Et donc pas sûr, hélas, que la campagne soit restée vierge des nombreuses calamités qui pourrissent la vie urbaine, et le capitalisme fait mal, à la ville comme à la campagne.
Dans la forme, New Rural Wave se singularise par un plus grand mélange, juxtaposant textes, illustrations, mais aussi bandes dessinées.
Dans le fond, le livre agit comme une bonne grosse claque, pas une qui rougit la joue, mais plutôt qui aide à remettre les idées en place. -
Les précédentes éditions de cette « intégrale » de Lupus étant désormais épuisées, voilà donc une nouvelle chance de découvrir un des titres phares du catalogue atrabilaire, et ce coup-ci dans une maquette passablement repensée, et à un prix sensiblement plus bas.
Pour rappel: bien avant Aâma et peu après Pilules bleues, Frederik Peeters s'est frotté à la science fiction avec Lupus, désarçonnant alors certains de ses lecteurs, avant d'en gagner bien d'autres. A travers Lupus, Frederik Peeters va trouver une nouvelle façon d'aborder l'intime, délaissant une certaine forme de naturalisme pour projeter des questionnements qui lui sont chers dans un décor de SF, évoquant tout au long de ces 400 pages certains de ses sujets de prédilection.
Pourchassé par les sbires du mystérieux père de Sanaa, jeune femme avec laquelle il cavale à travers l'univers, Lupus n'en finit plus de s'enfuir, mais cette fuite en avant va rapidement prendre la forme d'une quête intérieure dont il ne sortira pas indemne.
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Ted trimballe sa grande carcasse dégingandée à travers la ville dans un train-train aussi régulier qu'énergique ; métro-boulot-dodo certes, mais avec une énergie et une rigueur peu communes. Puis un jour, la mécanique se grippe et tout s'emballe, ce jour où le métro est en travaux et où les choses ne sont pas, plus, comme d'habitude. Et là, tout dérape... Émilie Gleason s'est fortement inspirée du vécu de son frère, diagnostiqué Asperger, pour raconter les bien étranges journées de Ted - rencontre, discussion, amour, sexe, empathie, tant de choses qui, pour Ted, ne vont pas vraiment de soi... Mais alors que la « bande dessinée du réel » a produit tant d'oeuvres lénifiantes n'existant que par leur sujet, Émilie Gleason, elle, transcende son sujet pour nous livrer un moment de lecture survolté, mené à cent à l'heure, plein d'inattendus et de surprises. Bien plus qu'un « reportage » ou un « témoignage », Ted est une véritable immersion dans un esprit pas vraiment commun et offre à l'arrivée une expérience de lecture rare, un tourbillon de couleurs et d'énergie, à l'image de son personnage principal.
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Sur 264 pages, Jouer au loup présente une quinzaine d'histoires piochées dans la mythique revue Garo, mais aussi des pages et illustrations complètement inédites, ce qui fait de ce nouveau recueil, trois ans après L'Envol, un véritable événement éditorial. Souvent présentée comme la première femme à avoir publié dans Garo, Kuniko Tsurita (décédée prématurément à l'âge de 37 ans) a sans doute souffert de ce statut de « femme dans un monde d'homme », et une partie non négligeable de son oeuvre est donc restée dans les tiroirs - une oeuvre soigneusement conservée par son veuf, Naoyuki Takahashi, qui nous a aimablement permis d'y avoir accès. Dessinées entre 1968 à 1981, les histoires qui composent Jouer au loup montrent à nouveau toute l'étendue du talent de l'autrice et ses intérêts changeants : récits aux accents politiques et contestataires, fable animalière, trip ésotérique ou encore autobiographie, toutes ces pages dessinent aussi en creux le portrait d'une femme singulière, passionnée, et complètement dévouée à son art.
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Chef d'oeuvre : voilà un mot bien galvaudé, mais amplement mérité par ce magnifique joyau noir qu'est L'Homme sans talent. Initialement publié en 1985 au Japon, traduit en français par Ego comme x en 2004, cette oeuvre emblématique du watakushi manga (" bande dessinée du moi ") n'était plus disponible depuis de nombreuses années. Les éditions Atrabile sont incroyablement fières et heureuses de pouvoir donner une nouvelle vie à ce livre qui mérite d'être lu et relu.
Le personnage central en est un auteur de manga, intègre et jusqu'au-boutiste, qui refuse les compromis et les travaux de commande ; face aux vicissitudes de l'existence, il semble décidé à faire de sa vie une étrange ode à l'échec, en vendant des cailloux piochés dans la rivière, dont personne ne semble vouloir. Lentement mais sûrement, il se met lui-même au ban d'une société qui ne l'intéresse plus, comme un laissé pour compte volontaire.
Ne répondant que mollement aux injonctions répétées de sa femme, qui le conjure de trouver une solution à leur situation et donner enfin une vie digne à sa petite famille, cet " homme sans talent " persévère et s'enfonce inexorablement dans la pauvreté et la misère sociale... Au fil des pages, Yoshiharu Tsuge transforme ce ratage annoncé en un poème lancinant et désespéré, tout en y apportant une touche d'humour et d'ironie salvatrice.
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Petra, Ulla et Denise vivent toutes les trois en colocation, dans une disharmonie assumée et somme toute équilibrée; chacune d'elle se distingue par sa personnalité originale, son envie de sortir des codes et de s'émanciper des nombreuses injonctions sociétales qui s'imposent à elles, avec, comme maître mot, l'indépendance. Petra est bodybuildeuse, et sa vie n'est que protéine, muscle et apparence; Ulla, archéologue, ressemble littéralement à une géante, franchement volumineuse et dépassant d'une tête toutes les autres; Denise, elle, enseigne le yoga mais marchande également le venin extrait de son bras-serpent, considéré comme une lotion de beauté miracle. Des notions comme le couple, la maternité, la famille, semblent bien loin de leurs préoccupations. Mais à quelques rues, dans un appartement transformé en véritable capharnaüm, vivent trois enfants abandonnés par leur génitrice et livrés à eux-mêmes. Lorsque les trois femmes vont rencontrer les enfants, leurs réactions et sentiments, mélanges d'inquiétude, de sollicitude et de maladresse, vont lentement évoluer, jusqu'à donner naissance à des liens forts et uniques avec la jeune fratrie.
Dans La Harde, Marijpol nous promène dans une société fantasque et futuriste, miroir de la nôtre, et chemin faisant, construit une espèce de comédie dramatique qui évoque la douceur et la bienveillance de l'univers de Kore-eda, mais surtout, interroge et explore le concept de norme, qu'il s'applique au corps, à la féminité, au couple ou à la famille. Brillant ! -
La jeune femme, à l'ombre des arbres et à l'écart du village, semble pensive ; elle ressasse, habitée par une envie de partir, de découvrir le monde, au-delà de la forêt et des montages environnantes. C'est la peur qui empêche les villageois d'explorer la forêt et de s'immiscer dans le monde sauvage, la peur d'Emkla, divinité vengeresse dont les lois régissent, entre autres choses, les rapports entre humains et non-humains. Alors, quand la loi n'est pas respectée, c'est mille fléaux qui s'abattent sur le petit village. Plutôt que vivre comme une insurgée dans ce village devenu cauchemar, la jeune femme décide de tout quitter et de partir loin, par-delà les grandes roches, à la recherche de la vérité.
Emkla est un conte amoral et sombre, un récit d'aventure haletant qui explore les relations entre humains et nature, et questionne les traditions et idéologies qui nous enferment et nous soumettent plus qu'elles nous éclairent et nous libèrent. On connaît le talent versatile de Peggy Adam, qui, de livre en livre, aime à jongler avec les thèmes et les approches graphiques ; dans Emkla, comme mue par une envie de se réinventer, elle livre sans doute ses plus belles pages, tout en aquarelle, pour mieux nous décrire la cruelle beauté de la nature, et l'éphémère folie de l'être humain. -
Souvenez-vous ! Après deux livres à la portée confidentielle, Les Gens le dimanche et Icarus (et un autre chez Delcourt, Mademoiselle Else), Atrabile publiait en 2010 le quatrième livre de Manuele Fior, Cinq mille kilomètres par seconde. Le livre bénéficia immédiatement d'une excellente réception aussi bien critique que publique, jusqu'à être couronné en janvier 2011 par le Prix du Meilleur Album de l'année au Festival d'Angoulême.
Vendu à plus de 20000 exemplaires, traduit en une dizaine de langues, le livre est devenu un des « incontournables » du catalogue atrabilaire. Aujourd'hui épuisé, Atrabile propose de pu-blier une nouvelle édition du chef d'oeuvre de Manuele Fior, le basculant de la collection Flegme à la collection Ichor, et lui offrant ainsi un nouvel écrin, avec une nouvelle couverture cartonnée, et surtout un format sensiblement plus grand - un nouveau format qui permettra d'apprécier encore mieux la beauté et la subtilité des aquarelles de ce talentueux auteur italien.
Pour mémoire : Tout en racontant l'histoire d'amour contrariée de Piero et Lucia, Cinq mille kilomètres par seconde nous promène dans le monde et dans le temps, à l'heure où les nouvelles technologies et la quasi instantanéité de l'information semble abolir les distances, et rendre plus troubles encore les sentiments humains.
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Celestia, désormais coupée du continent, est devenue un étrange ghetto, un repère pour de nombreux criminels et autres marginaux, mais également un refuge pour un groupe de jeunes télépathes. Les événements vont pousser deux d'entre eux, Dora et Pierrot, à fuir l'île pour rejoindre le continent; là, ils vont découvrir un monde en pleine métamorphose, un monde où les adultes, prisonniers de leurs propres forteresses, restent les gardiens de «l'ancien monde», et où une nouvelle génération pourrait guider la société vers une nouvelle humanité.
Récit spéculatif ouvertement ancré dans la science-fiction, Celestia poursuit une réflexion entamée par l'auteur dans L'Entrevue (Futuropolis), une réflexion sur le futur de l'être humain, sur sa possible évolution en tant qu'espèce, comme sur les prochains défis auxquels il sera confronté dans un avenir plus ou moins proche.
Près de dix ans après Cinq mille kilomètres par seconde (Prix du meilleur album au FIBD d'Angoulême en 2011, traduit depuis dans une quinzaine de langues) Manuele Fior revient chez Atrabile et nous offre son oeuvre la plus ambitieuse à ce jour, et sans aucun doute la plus aboutie.
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En parallèle de la sortie de New Rural Wave, Atrabile se propose de rééditer Sisyphe les joies du couple, épuisé depuis plusieurs années.
Pour rappel: Sisyphe les joies du couple, c'est un peu comme si Aurélie William Levaux avait décidé de se réapproprier le terme fourre-tout de roman graphique ; « graphique » le travail d'AWL l'est assurément, et sa technique si particulière, mélange de broderie et de peinture sur tissu, fait toujours aussi merveille. Mais dans Sisyphe Les joies du couple, AWL s'est également attachée au verbe, dans un texte qui décrit, avec la plus grande minutie et beaucoup de justesse, un certain versant de ce que peut être la vie à deux - et c'est là que l'on retrouve l'aspect « roman » du projet. Le rapport entre le texte et l'image dépasse alors le pur cadre de l'illustration, et à travers la juxtaposition, la confrontation, devient créateur de sens. Quant à Sisyphe, il semble que ce soit ainsi qu'AWL conçoive la vie en couple : un cycle qui se répète, selon une matrice invariable faite de disputes, de séparations et de réconciliations. Elle montre ainsi la complexité des sentiments qui s'expriment dans cette étrange et pourtant si commune formule qu'est le couple, une formule faite d'abnégation et de renoncement, mais aussi d'élan et de spontanéité, de colère et d'envie, de désir et de mépris, de douceur et de violence, de calcul et d'abandon - comme si l'amour était là pour que s'exprime en nous chaque sentiment imaginable, sans souci de cohérence, passant ainsi sans cesse d'un extrême à un autre.
Il y a ainsi quelque chose de presque définitif dans cette évocation d'un couple en guerre, et qui permet à AWL de signer son livre le plus beau et le plus fort. -
Château de sable
Pierre-oscar Lévy, Frederik Peeters
- Atrabile
- Bile Blanche
- 9 Juillet 2021
- 9782889231065
Sur une plage, le destin de 13 personnages va se retrouver bouleversé par un événement inconcevable, un basculement de la réalité qui va plonger cette petite troupe dans un abîme de questionnements. Face à cet événement fantastique, les protagonistes de Château de sable vont d'abord traverser une phase bien humaine de dénégation tendue et conflictuelle, puis viendra la période de l'acceptation, quand les masques seront tombés et qu'il faudra bien composer avec la nouvelle donne, car le temps est compté... Face à un destin qui s'échappe inexorablement comme une poignée de sable entre les doigts, chacun réagira à sa manière - mais comment et que faire quand un coucher de soleil peut être synonyme de fin? Récit complet et complexe, où la situation est plus importante que l'explication, Château de sable balance tout au long de ses cent pages entre noirceur et humanisme, pour former à l'arrivée un conte moderne, cruel et passionnant.
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Après s'être tenu (un peu trop) loin de la bande dessinée pendant des années, Helge Reumann aligne désormais les livres chez Atrabile avec une régularité remarquable : Black Medicine Book en 2017, SUV en 2019, Totale Résistance en 2021, et voilà que débarque comme un boulet de canon fourré à l'acide son nouveau livre, Kilmotor.
Dans ses livres comme dans d'autres médiums (peintures, installations), H. Reumann a bâti avec une belle constance une oeuvre d'une grande cohérence, noire, violente, mais pas exempte d'humour, présentant un monde peuplé de créatures dégoulinantes, de bandes rivales adeptes de la baston, de gnomes mystérieux et autres visions de cauchemars, mais toujours exécuté avec la plus grande rigueur.
Kilmotor, son nouveau livre, est un peu la somme de son travail et de son univers, un ouvrage de bande dessinée également parsemé de peinture et d'illustrations, un livre traversé d'hallucinations folles et marquantes, et qui cite aussi bien Carl Barks que Max Weber ! -
A l'instar de En toute simplicité ou Dressing, Le Paradis pas l'enfer se présente comme un généreux recueil d'histoires courtes, forme dans laquelle excelle Michael DeForge. Ici chaque nouvelle est un joyau ciselé, avec son propre univers graphique, son propre ton, sa propre écriture, et ses propres enjeux : dans Jeu de rôle, des rôleurs ont poussé l'usurpation jusqu'au point de non-retour; dans L'Heure du jugement, chacun peut faire ce qu'il veut pendant 24 heures - vraiment; dans Un Amour d'astronaute, deux personnages isolés vivent un crush spatial exclusif, platonique, et mortel; Un de mes étudiants est un meurtrier... mais lequel ? met en scène une enquête faussement naïve en milieu scolaire; dans Mon nouveau beau-père est un insecte répugnant et je le déteste, le beau-père du titre est réellement un insecte; dans Album, un personnage feuillette un album de photos issues du passé, mais aussi du futur; dans Progéniture, un couple explore une application qui leur fait découvrir comment sera leur futur enfant, dans tous les détails... Malgré le côté disparate des sujets abordés et des styles employés, la sauce prend pour former un tout cohérent, grâce à des études de personnages fines et détaillées, une vision incisive du monde, et un humour mordant, voire carrément vachard, caractéristiques de DeForge.
Chaque nouveau livre de Michael DeForge doit être considéré comme un cadeau de la vie, car il participe à sa manière à rendre le monde un peu plus beau (ou un peu moins moche). Alors merci Michael !
Michael DeForge est un dessinateur canadien, connu entre autres choses pour son implication dans le design d'Adventure Time - mais c'est surtout l'un des auteurs les plus inventifs et prolifiques du moment. Artiste multi-primé en Amérique du Nord, il a reçu le Prix de l'Audace à Angoulême en 2022 pour Un Visage familier. -
Grandir. Se confronter aux autres, faire face aux premières déconvenues, au regard de l'autre, aux attentes du monde. Et puis faire des découvertes. Comprendre, se révéler à soi, aux autres. Se construire. A travers des bribes de sa vie et de son parcours, Juliette Mancini se raconte, elle, mais aussi le monde dans lequel elle a grandi. La légende viriliste du grand-père qui a fait la guerre ; les premiers clichés sexistes (la force des garçons, la grâce des filles) ; la première main aux fesses dans la foule, la peur et la honte qui surgissent, mais aussi la découverte qu'on peut être désirable.
En choisissant ces moments marquants, où en tout cas significatifs de sa vie et de son parcours, en les déconstruisant avec la plus grande acuité, Juliette Mancini réussit une prouesse trop rare, celle de transformer le particulier en universel. Avec pudeur, délicatesse, intelligence, et juste ce qu'il faut de mise à distance, elle nous promène ainsi de l'enfance à l'âge adulte, de l'acceptation de fausses évidences au déboulonnage des mythes, pour mieux décortiquer les injonctions d'une société si prompte à nous assigner des rôles.
Son précédent livre, De la Chevalerie, s'intéressait déjà aux mécanismes de la domination, et, sans manichéisme, relevait avec justesse la complexité de ces mécanismes, refusant la (trop) simple dualité dominant-dominé. C'est la même finesse d'analyse qui est à l'oeuvre ici, en démontrant, par exemple, comment le regard de l'autre peut avoir quelque chose de tour à tour flatteur, inquisiteur ou avilissant.
Elle nous rappelle aussi à quel point les paradoxes et les contradictions semblent être le propre de l'être humain ; mais aussi, sans doute, ce qui en fait sa richesse. Avec Eveils, Juliette Mancini signe une oeuvre forte, un livre ouvertement politique, qui, bien plus que d'asséner des vérités toutes faites, invite à la réflexion. Une grande réussite.
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Yeon-lee et ses amies forment un groupe de quinquagénaires pour lesquelles la vie n'a pas toujours été une partie de plaisir. Mère de trois enfants, désormais célibataire, employée dans un société de nettoyage, Yeon-lee jongle comme elle peut avec les aléas du quotidien: un fils glandeur peu pressé de quitter le giron maternel, un patron adepte du mobbing et farouchement opposé à la création d'un syndicat, un amant instable, coureur de jupon et accro à la bouteille... Dans l'entourage de Yeon-lee, les choses ne sont pas beaucoup plus reluisantes, et toutes ses camarades se démènent dans des relations et des histoires « d'amour » aussi périlleuses qu'insécures : queutards pervers, chef libidineux, amants manipulateurs, bref, un florilège de personnages toxiques et désespérants. C'est en se basant sur les confessions de sa mère (à laquelle l'auteur a confié un beau carnet pour que celle-ci y décrive, sous la forme d'un journal intime, sa vie, ses amies et ses histoires d'amour) que Yeong-shin Ma a réalisé Les Daronnes, et ce qui aurait pu virer au témoignage sordide et pathétique est transformé ici en une comédie échevelée, certes un peu trash, mais dénuée de mépris pour ses personnages. Car ces daronnes sont incroyablement déterminées, et malgré leurs origines modestes, malgré les accidents de la vie qui jalonnent leur parcours, elles font face à l'adversité et se relèvent sans cesse, portées par une volonté de s'en sortir et de trouver leur propre version du bonheur. La vie et les rêves ne s'éteignent pas passés cinquante ans, c'est peut-être même là qu'ils commencent, semble nous dire Yeong-shin Ma à travers Les Daronnes, et une fois le livre refermé, on a toutes les raisons de le croire.
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Disons-le comme on le pense: la publication du travail de Kuniko Tsurita, complètement inédit en français, est un événement en soi, aussi bien pour ses qualités intrinsèques que pour sa valeur patrimoniale. L'Envol présente sur 496 pages un panorama, si ce n'est complet, en tout cas très représentatif de l'oeuvre de Kuniko Tsurita, et la trentaine d'histoires qui composent ce recueil montrent ainsi l'évolution d'une artiste au parcours et au profil atypiques, et dont le travail, profondément ancré dans son époque, se rattache en grande partie au mouvement du gekiga. Réalisées entre 1965 et 1981, ces histoires (plus ou moins) courtes dessinent aussi en creux le portrait d'une artiste en prise directe avec son époque; des histoires de science-fiction en vogue dans les années 60 à des récits aux accents autobiographiques, de moments plus expérimentaux et poétiques aux interrogations franchement politiques et féministes, L'Envol nous permet de découvrir une des voix les plus singulières, et attachantes, du manga d'auteur. Souvent présentée comme étant «la première femme à avoir été publiée dans Garo» (revue de bande dessinée d'avant-garde aujourd'hui défunte, et ayant publié des auteurs majeurs comme Yoshiharu Tsuge, Shigeru Mizuki, Yoshihiro Tastumi, Sanpei Shirato, etc.) Kuniko Tsurita livrera hélas une oeuvre qui s'étalera tout juste sur une quinzaine d'années.
Publiée précocement dès l'âge de 18 ans déjà, Kuniko Tsurita décède prématurément en 1985, à 37 ans.
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Frederik Peeters est un animal insaisissable, et comme le prouve son parcours, jamais où on pourrait l'attendre ; Saccage, son nouveau livre, le démontre une fois encore. Saccage, voilà un ouvrage qui défie toute forme de définition, de classification : entre livre d'images et bande dessinée, Saccage dépeint une épopée pleine de tourments, celle d'un homme (prophète ? Héraut de l'apocalypse ?) qui traverse un monde dément, chaotique, baroque, où toute la folie et l'histoire de l'homme semble se télescoper, se mélanger, pour former un magma empli de visions fantasmagoriques, juxtaposant alors écho d'un enfer bien trop terrestre, jeu de références et fresque prémonitoire. Fable d'anticipation, allégorie hallucinée, Saccage se lit comme un poème graphique en forme de constat pour le moins amer et présente un monde en pleine déliquescence, sidérant comme un massacre, effrayant comme un cauchemar mais Saccage est bien plus qu'un délire visuel, c'est une véritable oeuvre coup-de-poing, incroyablement habitée par un artiste au sommet de son art et les dessins sans texte (mais pas «muets«!) de Frederik Peeters donne alors bien plus à lire que nombre de romans ou d'essais.
Dans une bibliographie où le changement et le renouvellement font quasiment office de règle, Saccage pousse le bouchon encore un peu plus loin et ce livre unique (carrément !), joyau torturé et incandescent, marquera, à coup sûr, les esprits de tous les lecteurs qui oseront s'y aventurer.
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Grand moment d'angoisse pour Carol au sein du vaisseau de croisière Bron-825: Carol se réveille seul, désespérément seul. Où est passé tout l'équipage, et plus particulièrement sa femme, Sonia? Pour tromper la solitude, et parce que son esprit commence sérieusement à chavirer, Carol entame un dialogue avec Frank, ou du moins son cadavre congelé qu'il a retrouvé dans un frigo médical du vaisseau... Un cadavre plutôt sympathique qui servira aussi de réserve de nourriture à un Carol de plus en plus tourmenté, et à l'aune d'une transformation lente mais irréversible, en attendant un éventuel sauvetage. Récit de science-fiction surprenant, La Voix de Zazar marie habilement suspense, épouvante et humour loufoque, et passe ainsi, avec la plus grande fluidité, d'un registre à un autre. Geoffroy Monde, sans jamais s'égarer, revisite habilement un grand mythe fantastique tout en nous faisant visiter les méandres d'un esprit dérangé et schizophrène, le tout dans un décor futuriste qui mélange éléments familiers et insolites. C'est drôle, rythmé, malin, plein d'invention, et tout simplement passionnant à lire de bout en bout.
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Edimbourg, début du XXe siècle. Charles Hamilton a tout pour être heureux: un confort financier qui le met à l'abri du besoin, des nuits bien remplies et des journées oisives juste ce qu'il faut. Et pourtant, après la fête, c'est la descente. Victime de troubles de l'humeur, de hauts et de bas, Charles Hamilton se sent en alternance. Déçu par l'amour, Charles est néanmoins père d'une petite Sophia, mais ne voit pas là de quoi combler ce vide existentiel qui l'habite. Ce qu'il lui faudrait c'est un exemple - un maître, un sage, là, au fond de son jardin.
En s'inspirant de l'histoire (réelle) de Charles Hamilton et de son « ermite ornemental », Gabrielle Piquet traque des maux bien modernes - recherche d'un bien-être perpétuel, positivisme à tout crin - et nous interroge sur cette dictature du bonheur qui voudrait éradiquer de nos vies toute forme d'aspérité, comme si la vie ne pouvait, ne devait être que réjouissance et béatitude.
On retrouve dans La Mécanique du Sage toutes les qualités qui faisaient déjà le charme de La Nuit du Misothrope: un dessin aux influences retro tout en élégance, une écriture mélodieuse d'une grande finesse, avec en prime une touche d'ironie et un humour pince-sans-rire du plus bel effet.