Le numéro Ce que le numérique fait au langage. Imaginaires et rationalités du paradigme cybernétique, est centré sur l'étude des liens entre langage et numérique.
Gaston Bachelard, « l'homme du théorème et du poème » n'a pas travaillé le numérique, on le comprend aisément pour des raisons historiques. Mais il n'a cessé de discuter les relations du concept et de l'image, de la rationalité et des imaginaires investis dans le langage, et avec lui de la parole dans la langue, et de ses mises en forme. Il a ainsi travaillé aux conditions épistémologiques d'advenue de la science moderne par l'invention d'une langue : celle notamment que construisit Lavoisier avec les symboles de la chimie. Il a discuté comment la littérature, quant à elle, est cette puissance de subversion des formes établies, de mise en travail de ce qui est le plus informé voire corseté, par les variations de l'imagination. Nous voudrions prendre prétexte de ce double geste pour questionner ce qu'aujourd'hui le numérique fait au langage et examiner quelles ressources poétiques le maintiennent dans sa dimension de langage instituant et non de langage institué.
A l'occasion de la commémoration du cinquantenaire de la disparition de Bachelard (1884 - 1962), l'Université dans laquelle il a enseigné pendant plus de dix ans se devait de faire le point avec des spécialistes français et étrangers sur l'état des études bachelardiennes, l'établissement et les traductions des textes ainsi que sur la numérisation des sources et leur exploitation.
C'est en effet à Dijon que Bachelard a écrit certains de ses textes fondamentaux. Philosophes des sciences et spécialistes de l'image ont pu ainsi confronter, dans son contexte, leurs approches de cette oeuvre majeure, dont la bipolarité ne cesse d'interpeller le chercheur, et se prononcer sur son actualité dans le monde contemporain.
La lecture de Bachelard par Georges Canguilhem nous est connue dès les articles de 1963 et 1966, repris dans les Études d'histoire et de philosophie des sciences, ainsi que par des analyses de nombreux commentateurs. Le volume 14 des Cahiers Bachelard cherche à mettre l'accent sur le rôle de l'Institut d'Histoire des Sciences dans la formation d'un « style français » et à approfondir certains échos dans l'oeuvre de Canguilhem. Car l'épistémologie historique de Canguilhem suppose celle de Bachelard et, pour Canguilhem aussi, il faut reconnaître l'apport de la non-science dans la constitution d'une science. Ainsi, non seulement Canguilhem va retrouver le dynamisme des concepts et de la raison décrit par l'épistémologie bachelardienne, mais son analyse de la normativité va voir dans le vitalisme normatif de l'autorité créatrice le terreau où la vitalité s'inscrit dans une dialectique existentielle.