Chambre D'Echos
-
Une enfance abandonnée ; Jean Genet à Alligny-en-Morvan
Jean-Pierre Renault
- Chambre D'Echos
- 4 Mai 2001
- 9782913904064
Un éclairage oblique, rasant, porté sur l'enfant Genet, gosse de l'Assistance, "petit Paris" placé chez des villageois d'Alligny-en-Morvan.
L'auteur traque l'ombre du poète dans la vieille bâtisse où celui-ci passa son enfance. Dans les herbes des prairies qu'il foule à son tour, il en révèle l'empreinte. Il réveille les souvenirs des vieux du village et raconte non seulement l'enfant, mais le vieil homme revenu, brièvement, peu avant sa mort.
" Sonnent 6 heures en ce milieu d'août 1924.
Il écrit son roman pour les vaches, les champignons, l'herbe, les arbres, il est l'idiot du village, il parle aux poissons, aux sources, aux vipères, au ciel et ou silence."
-
Les tambours pour la résonance et la pierre pour les murs du silence et de l'oubli. Un homme revient, après une longue absence, dans une ville portuaire du Sud. Trois destins que le temps a dispersés, trois protagonistes d'une histoire étouffée ancrée dans ce lieu, se recroisent autour des "Titans", lourdes grues immobiles dans le chantier naval désaffecté. Un vieux boxeur dont la mémoire s'est effondrée, le photographe du chantier, atteint par la maladie de l'amiante, et le narrateur, fils d'un des anciens ouvriers, qui entreprend une étrange enquête dont l'enjeu est la restauration de leur mémoire commune.
"Il est des choses que l'on enfouit au plus profond de soi pour ne plus jamais avoir à les regarder en face. Des choses qu'on laisse le temps s'accaparer, lentement... Des choses pour lesquelles on voudrait que l'oubli, cet allié, fasse son oeuvre, et que de nos vies elles disparaissent sans coup férir. Mais au fond de nous, nous savons qu'il ne peut en être ainsi. Il est de ces histoires que l'on ne solde jamais, dont l'oubli ne veut pas s'occuper. Elles dorment là, dans les territoires obscurs de nos consciences, en attendant qu'un jour on vienne les réveiller."
-
Le temps d'un voyage, sur les traces d'un passé balayé par l'histoire, Adam Biro et sa femme Karin tiennent un journal à deux voix. Ils nous content une plongée dans l'histoire de Königsberg devenue l'enclave russe de Kaliningrad. Lui écrit en français, elle en allemand, sa langue maternelle, dont le texte est traduit. Les deux textes sont imprimés tête-bêche en un seul volume.
"Nous sommes au bord de la Gilge, de la Matrosovska. Un jardin devait dans le temps entourer l'église. À présent, la mauvaise herbe recouvre tout. Un paysan russe se précipite et nous explique, menaçant (pourquoi ?), qu'il a tout nettoyé ici avec ses mains nues - il nous les montre ; on devine quelques noms allemands sur des tombes à moitié enfouies sous la terre et cachées par la ronce. Des dates sont lisibles, XIXe siècle. Que fais-je ici, dans ce cimetière, moi, Juif hongrois, minuscule survivant miraculé de la grande tuerie que les fils et petits-fils de ces luthériens allemands ont organisée ? Dans ce cimetière où tout m'est étranger et tout m'est hostile ? Est-ce vrai ? Je suis le mari, l'amant, l'amoureux de cette Prussienne dont les ancêtres sont couchés ici. Et cela me suffit, parce que c'est cela, l'essentiel." (Extrait du texte d'Adam Biro) "Tilsit / Sovietsk, 2005, archives de l'ancien lycée allemand. Derrière la porte, des piles de livres, des albums remplis de lettres, d'articles sur les jubilés, de rencontres entre anciens, de fêtes de classe, de photos des bacheliers de 1922-1924. Beaucoup de bibelots, d'objets de la vie quotidienne, simples témoins muets. Je feuillette, le coeur serré, la liste des noms et l'album des bacheliers des années 1922 à 1924. Dix à douze candidats, guère plus. Photos individuelles et photos de groupe, chacun portant la casquette typique du lycée, je les regarde une par une, lentement, mes yeux s'attardent, mes doigts suivent, caressent les contours... (Mon père aussi, je m'en souviens, portait cette casquette sur un cliché que nous avions à la maison, fixant l'objectif, si sérieux, si fier aussi.) Mon père ne se trouve pas parmi les lauréats photographiés. Il manque. Il me manque." (Extrait du texte de Karin Biro-Thierbach)
-
à bobo dioulasso - burkina faso -, une femme regarde croître le tas d'ordures devant sa porte, une autre balaie sans fin la poussière des rues.
Ces vieilles dames africaines sont des métisses, des orphelines essaimées par la colonisation. au fil des récits, un incident mineur, une rencontre, ravivent chez elles la douleur sourde avec laquelle elles ont toujours vécu : la négation de leur identité. en écho, de plus jeunes femmes et des fillettes enjambent la mer et se croisent. au supermarché de guignicourt, la petite salimata, fraîchement débarquée du burkina, tente de se rendre invisible.
à tounouma, quartier de bobo, rachel, venue de france à la recherche de son père, devient sans le savoir la " fille-africaine-minute ".
-
Paris 1960, du vendredi au lundi de Pâques. Jacques Besse, sans logis, le ventre vide, déambule, passant et repassant par Singe-des-Près, le coeur de la ville. Marcheur halluciné, insomniaque et fragile, il sillonne les rues et nous entraîne sur un rythme cassé, heurté. Acteur et spectateur de ce parcours que ses " fiancées " viennent hanter, il est comme ivre de son texte à mesure qu'il le vit, sa faim nous tenaille, vraie faim d'amour et de reconnaissance. Mais dure et âpre est la ville, sur laquelle plane l'ombre de la guerre d'Algérie.
"Le pont se traverse c'est du vent, du joli vent d'avril qui démolit les mendiants." La Grande Pâque est intemporelle. C'est encore aujourd'hui une partition inspirée, chantée d'une belle voix étrange, éraillée par la vie.
-
Deux courts récits, l'un dense, chahuté, violent, l'autre où l'on entrevoit peut-être la sortie du tunnel... Le choc des souvenirs de l'hôpital psychiatrique : images de lieux, de corps mutilés, de visages éteints, relayées par les mots.
Après le " tu "qui seul permet au narrateur d'établir la distance nécessaire au travail de la mémoire, reviennent la parole ou le " je " et une pensée qui vagabonde.
En hors-texte, des reproductions des peintures de l'auteur.
-
Jean-Pierre Rochat écrit comme il respire, à pleins poumons, en haut de sa montagne à la belle herbe grasse, dans la partie francophone du canton de Berne. Au petit matin brumeux, alors que persiste la mémoire des rêves, il note ses incursions dans l'étrange, puis sort soigner ses bêtes. Les messages qu'il nous adresse sentent la chèvre, le cheval ou le sapin. Ce sont " les mini-romans de sa vie ". De courts récits, tour à tour narquois, lucides ou graves, par lesquels il nous insuffle sa folie, son appétit d'amour et sa poignante reconnaissance de la mort. Les fêlures insoupçonnées d'un éleveur de chevaux nous " montent au cerveau en finesse ".
"La première fois que je vous ai vue, un printemps, je me souviens, un jour de printemps ensoleillé, j'étais dans le parc, sous l'eau, j'étais encore sous l'eau, je jouais avec la neige de pétales de cerisiers, mon amour, tu as soufflé ton odeur dans le tuba, c'était divin, la vie revenait sur la terre."
-
« Quand j'ai écrit ce livre, Ulysse, mon petit-fils à qui je m'adresse avait 2 ans. Aujourd'hui il en a 17. Si le monde a changé, le passé, celui de ma famille et celui de l'Europe Centrale, reste identique : douloureux, tragique. C'est ce passé là que je voulais raconter dans ce livre, roman vrai oscillant entre dérision et émotion, désespoir optimiste et joie de vivre pleine de larmes, entre Est et Ouest, entre un monde disparu et un présent incertain. Mais Ulysse - et le lecteur - pourront deviner à travers les portraits des membres de ma famille qui ont vécu et souffert dans une Europe bouleversée puis détruite par deux guerres et écrasée par des dictatures, une enfance émerveillée... la mienne. »
-
Sur le site Internet d'une association hollandaise défile une liste de quatre mille morts, la plupart inconnus, hommes, femmes et enfants qui ont voulu émigrer et se sont noyés dans les douves de la forteresse Europe.
C'est le point de départ de ce texte qui n'est pas un roman, ni un reportage, pas plus qu'une analyse ou un message politique, mais plutôt une prière profane, un hommage rendu aux morts, une forme d'espoir, celui que la liste d'Internet cesse un jour de s'allonger.
-
Après cinquante ans d'insomnies peuplées de disparus, un père juif va mourir.
Disparaître à son tour. Héritier de ses angoisses, Joël, son fils, choisit une analyste aux options catégoriques qui l'envoie à Buenos Aires se mêler d'une autre disparition, celle du père argentin de Silvana, sa compagne, avalé par les années de la dictature. Il part, seul. Au fil d'une enquête quasi policière se découvrent peu à peu simultanément le narrateur, le personnage qu'il poursuit, et les témoins qu'il rencontre dans la ville foisonnante.
Peut-on prendre en charge les failles identitaires de la personne avec qui l'on vit ? Endosser une filiation par procuration ? Même avec humour, ce n'est pas sans risque.
-
Deux enfants, deux «?petites?» peu pressées de grandir, saisies sur quelques saisons de sursis, «?à l'abri des fracas du monde?». On avance dans le récit comme dans un tableau de Chardin ou de Sisley?: tout à la fois un conte d'enfance composé par touches successives impressionnistes et un journal d'adulte penché sur des scènes encore imprégnées de secret et dont les résonances font songer aux compositions de Paul Delvaux. Entrent en scène le jardin, la maison et ses dépendances, l'intendant et la grand-mère, les petites filles, le chien, les mères. Une évocation intemporelle de charmes mystérieux, un regard d'enfant implacable.
-
Nantes, la ville, sa forme ou le sentiment qu'elle en donne... Une citadine familière des lieux nous incite à glisser notre main sur ce tuffeau des murs, « Une tendresse nous vient pour cette pierre de fleuve dont est bâtie la ville », à capter dans Les Anneaux de Buren sa matière fluide, vents et remous de marée. Au fil de sa rêverie, la passante dérive, de «la Fabrique des sourds où l'on martelait les tôles de la dure nécessité» aux vestiges du passé négrier ou à la beauté du pont Éric Tabarly, «superbement libre comme la mer».
Dans ce décor vibrant de présences, instants de ville, impressions d'hier et d'aujourd'hui se mêlent. Un poème de Cocteau, un tableau du port par William Turner, un air de musicien des rues, une gravure de Rodolphe Bresdin, un air de Bashung dans une friche industrielle. Point n'est besoin d'être nantais pour entrer dans ce rêve d'une ville.
-
C'est le début de l'été. Un jardinier de campagne se penche sur son jardin d'héritage. Trente jours durant, il vit en symbiose avec lui, tous ses sens en éveil, bercé par les couleurs, les sons et les odeurs, accompagnant de ses soins attentifs et d'interrogations quotidiennes les métamorphoses de cet îlot de verdure. lt;br /gt;lt;br /gt; « Approche du solstice. À bas bruit, par petites touches, la chenille du temps renouvelle le jardin. Les valérianes perdent leur pompon rose, se muent en goupillons à bouteilles. Les cerises à portée de main se font plus rares. Les boutons de dahlias annoncent maintenant la couleur, les pois de senteur s'épanouissent, "dont les fleurs ont des oreilles comme celles des petits lièvres", disait la Sido de Colette. Les cloches des bignones se forment à l'extrémité des rameaux, les grappes bleues de la verveine se haussent. Il faut de nouveau tailler les pousses folles de la vigne. Les roses trémières ont éclos et le parfum du chèvrefeuille s'estompe lentement, envolé avec ses fleurs. »
-
Le peintre et homme d'affaires Andor Berki remémore dans ce recueil de nouvelles avec sa modestie proverbiale les célébrités qu'il a rencontrées et qui l'ont marqué, façonné : Rembrandt, Vermeer, Monet, Atatürk, Charlot, Doris Day, le Membre ou Dieu.
Au passage, il raconte comment il a amassé son immense fortune et l'usage qu'il en a fait.
Et la fin du volume reprend l'étude sémio-linguistique du début : comment se rendre à Tours, à Romorantin ou dans le Vercors en dépit de l'obstruction de l'invisible préposée numérique assise dans le répondeur de la SNCF qui ne comprend pas les r tels qu'on les roule en Hongrie.
"Une grande pièce, deux toiles. Sur le mur de droite, un autoportrait de Rembrandt. L'un des plus beaux. Rembrandt vieux. Il ne se faisait pas de cadeau. Bien au contraire. Regardez comme je suis vieux et laid. Mes yeux, tristes, pétillent d'intelligence. J'ai compris toute la misère du monde. D'ailleurs, j'y ai participé largement. Les femmes, l'argent, la renommée, la gloire. Notre place dans ce monde. J'ai compris tout cela, et malgré cette compréhension, je n'ai pas été à la hauteur, je n'ai pas été différent de vous. Que d'erreurs. Je n'ai pas pu, ou pas voulu, résister. Aux femmes, à l'argent. À l'attrait de la renommée. À la grossièreté de la réussite, à sa vulgarité. Même moi. [.] - Assieds-toi, m'a dit Rembrandt.
J'ai demandé la permission de prendre un fauteuil. En face de la peinture. En face du peintre. M. de Lesenseigne a discrètement quitté la pièce. J'ai ramassé mon courage au creux de mon estomac.
- Vos Trois arbres. Maître. Tout y est. Moi aussi, j'aimerais, comme vous. L'art, votre technique, le travail des mains, des yeux et aussi du coeur, le savoir-faire, taille et contre-taille, le talent, et aussi le sujet, la vie des gens, le pêcheur, l'arrière-pays, et l'amour, les amants cachés dans le feuillage, le ciel au-dessus. Et l'Au-delà. [.] Vous êtes le philosophe assis dans le noir sous l'escalier en colimaçon et vous êtes aussi le tout petit peintre devant l'énorme chevalet. Je ne sais pas comment vous dire. J'aimerais, oh j'aimerais tellement, moi aussi. Moi aussi, je suis un petit peintre devant l'immensité de l'art. Que dois-je faire ? ai-je demandé.
- Ce que tu veux. Cela n'a pas d'importance. Seul le geste compte. Et le désir.
Nous nous regardâmes longtemps, moi et Rembrandt van Rijn. Je luttais contre les larmes.
Il me dit :
- Andor, la réalité est décevante. Et la vie n'a aucun sens. Peins."
-
Il n'est pas venu de si loin, de la France d'exil, que pour enterrer sa mère à Mogador où, Berbère, elle était née.
Où, peut-être, elle l'avait engendré, lui, l'enfant sans père, le fils du vent, le bâtard. Avocat, spécialiste de droit international, il devrait très vite rentrer à Paris, y retrouver les farces dérisoires de la justice, mais dans le labyrinthe des ruelles serrées de Mogador, il s'enlise, s'englue jusqu'à devenir le disciple de Si Mohand, charmeur de mouettes et de goélands, qui arpente la casbah et nourrit les oiseaux.
-
Francis Bérezné découvre l'Art des fous lors d'un voyage à Lausanne en 1966.
Cinq ans plus tard il est pris lui-même dans la spirale de la folie pour de nombreuses années. De cette conjonction naissent des dessins que l'on aurait pu dire "bruts", et une réflexion sur cet Art qui se prolonge jusqu'à aujourd'hui. Le récit se développe sur deux modes : l'évocation d'une période perturbée de la vie de l'auteur, et l'expression d'une saine colère.
-
Ils font tomber les arbres du mauvais côté
Jean-louis Ughetto
- Chambre D'Echos
- 13 Octobre 1999
- 9782913904026
D'Abidjan à Bangkok, Alger ou Paris, escale après escale, des fragments d'histoires saisies entre deux camions, deux bateaux ou deux pannes d'ascenseur. Comme dans un kaléidoscope, les personnages se figent un instant, surpris, épinglés par le plaisir ou le malentendu, pressés de poursuivre ou de fuir leurs fantasmes, puis le tableau se décompose et change. Autour du récit, résonnent l'avant et l'après de ces vies entrevues, machine grinçante, la vie continue.
"Parfois j'ai l'impression qu'une puissance maléfique nous guette. Elle nous observe quand on s'agite dans la boue. Elle a regardé le vieux griffer la tôle en crevant et ça l'a fait marrer. - C'est Dieu dont tu parles, glousse Pierrot. Il épluche son oeuf et le sale."
-
Rue Lepic, le coiffeur est en deuil. Entre fable et rêve, absurde et divin, métamorphose et désespoir, une explosion de religiosité collective.
"Maman vient de mourir dans sa cuisine, agenouillée devant la tête de veau qu'elle faisait blanchir pour le dîner. Je suis seul, dans sa chambre, en train de regarder la télévision et j'ai faim. Je ferais mieux de partir, d'aller dîner au restaurant, mais quelque chose me dit de ne pas la laisser seule avec l'animal, car de ma vie je crois n'avoir rencontré sur terre une tête de veau aussi bizarre."
-
Une femme raconte : son mari est atteint d'une maladie incurable. La paralysie gagne peu à peu tout son corps, il ne peut plus parler, bientôt il ne pourra plus rien. Il a décidé de mettre fin à ses jours avant d'en arriver là, et c'est de sa femme qu'il attend assistance. Elle lui a promis d'être avec lui jusqu'au bout.
Quand il semblait impossible que tes gestes, tes regards, ce pauvre filet de voix qui subsistait s'amenuisent, ils s'amenuisaient pourtant. Ta fin n'en finissait pas.
Il y a dix ans j'avais joué dans Fin de partie, et toute la famille s'était mise à parler au quotidien avec des répliques de Beckett.
« Quelle heure est-il ?
- La même que d'habitude. » « Ça va ?
- Ça avance. » Et puis bien sûr la première réplique que nous citions souvent : « Fini, c'est fini, ça va finir, ça va peut-être finir. » Monique Jouvancy est comédienne, interprète des mots des autres avant que naisse son premier livre. Quatre ouvrages publiés avant celui-ci. À Clermont-Ferrand, elle anime la compagnie « Lectures à la carte » qui organise des lectures-spectacles.
-
C'est un fragment d'enfance au temps de Radio Days. Une gamine éperdue, dont les pensées ne cessent de tourbillonner, s'interroge sans fin sur l'avant, l'après d'un incroyable instant. Elle mène, dans un décor paisible de briques rouges et de lilas, une guerre secrète, acharnée, pour achever de se constituer, pour se reconstituer malgré la cassure. Elle cherche des issues à sa stupeur et se consume dans l'attente.
"La cour de notre maison était comme un théâtre à ciel ouvert... Selon les saisons, j'admirais la blancheur de la neige ou du lilas, mais aussi la verdure, les rayons du soleil, la pluie, le vent, et, d'une façon générale, les intempéries, que je comparais aux dérèglements des personnages qui jouaient dans les pièces. L'un deux s'appelait l'Absent. C'était un homme mystérieux dont les autres parlaient avec un mélange d'espoir et de colère."
-
Les rives de l'Orénoque à la saison des pluies, une fondrière en travers d'une piste africaine, un wagon de TGV stoppé en rase campagne...
A la fois des décors et des pièges. Dix récits narquois, voire cyniques, nourris de petits riens qui dégénèrent, d'indices annonciateurs de catastrophes frôlées ou accomplies. Une morale s'esquisse, équivoque, entre ce qui aurait pu être et ce qui a été. " Il pense qu'il n'a jamais séduit une femme à jeun. Ou plus exactement, qu'à jeun, il n'a jamais séduit une femme. Parce que lui, ivre, a séduit des femmes à jeun.
Donc responsables de leurs actes. Qui l'ont aimé comme il était. Ivre. C'est réconfortant. D'ailleurs, il a également séduit des femmes ivres. Pour un peu, il s'assoupirait. Il baille. "
-
Soleils ardents, cités lointaines, cafés, chambres d'hôtels... Des amants séparés s'écrivent d'un bout à l'autre du monde. Afin de mieux s'attendre ou se rejoindre un jour, ils décrivent la passion qui les unit comme l'un des lieux qu'ils traversent. Un otage, emmuré dans une cave, se dilue. Au contact d'un fruit écrasé, à son odeur acidulée, il découvre soudain qu'il fait encore partie du monde des vivants Des voyageurs, hommes ou femmes, se croisent, s'éblouissent un instant à la lumière de l'autre, évitent ou non de s'y brûler...
"Elle se retire de la terrasse. En fermant les yeux comme un chat, il sent combien il adore la vie d'hôtel, combien tous ces hôtels où il a vécu un temps plus ou moins court incarnent pour lui autant de centres du monde. Il fait alors le voeu que ce coeur-là ne s'arrête jamais de battre. Ce coeur commun aux voyageurs, aux hommes et aux femmes ardents ou détachés, au travail, perdus, amoureux, inaptes à tout ou magnifiquement accomplis..."
-
Par manque d'argent, la narratrice n'arrive plus à concilier ses deux passions : la littérature, le tabac. Sa bibliothèque est riche, elle aura le temps d'assouvir la seconde en lui sacrifiant la première. Tout y passe, par genre, de Claudel à Camus, de Bachelard à Merleau-Ponty, d'Hemingway à Faulkner et de la Série Noire à 10/18 Le temps de les relire avant de les fumer. Un récit qui s'adresse aux lecteurs, aux fumeurs, aux ex-fumeurs, aux Parisiens, aux jeunes immigrés, aux CPE, aux emplois précaires, aux jeunes femmes délurées, aux lettrés, aux amateurs de romans d'amour.
Un panorama plein d'humour, rapide, cultivé, enlevé, de la vie et des goûts d'une jeune femme de 25 ans dans un Paris récent, intime et plutôt gaiement fauché.
"L'urgence c'est de terminer la relecture des Patricia Highsmith pour aller les revendre demain car je vais manquer de tabac dans peu. Et la littérature policière ne vaut pas cher, tous ces poches sont voués à une revente certaine mais dans une catégorie assez modeste. Ils ne génèrent aucun profit, en tabac j'entends. Aucune édition luxueuse, aucun travail particulier du livre. Il me faut donc relire vite et vendre souvent. Mais je dois malgré tout prendre un peu de temps pour réfléchir, ce qui est en contradiction avec la nécessité. Comment prendre le temps quand on est talonné par le besoin ? Lire la nuit et rêver le jour à ses lectures."
-
Au coeur de la plupart de ces nouvelles, qu'elles traitent de l'adolescence ou de la maturité, il y a les inventions du désir et ses multiples dérapages. Des personnages passent, hésitent, désorientés par la rudesse des rencontres et leur propre incapacité à décoder le regard d'autrui. Entre plaisir de la causticité et art de la concision, on retrouve les acteurs - sceptiques et crédules, cyniques et sentimentaux - de ces mini-drames, à jamais ancrés dans leurs contradictions.
"- Tu m'écoutes ? Oui, bien sûr, il l'écoute. Sa voix est enrouée, un début d'angine, précise-t-elle. Une autre station. La fille s'impatiente. Elle prend l'initiative. Elle plaque ses lèvres aux siennes. Pétrifié, il ne pense qu'à ce début d'angine dont elle lui a parlé. Lorsque la rame décélère, elle se décolle et chuchote. - Je suis arrivée. À demain. Sa voix enrouée. La rame s'immobilise. Pardon, pardon. Elle joue des coudes et descend, l'abandonne, le visage en feu, au milieu des voyageurs. C'est court, trois stations, pour comprendre une femme."