Dans ce livre, qui prend parfois les allures de « symphonie urbaine » puisqu?il est composé d?un « prologue », de quinze « mouvements » et d?un « final », Olivier Domerg nous invite à nous interroger sur les sensations que procurent les lieux, et plus précisément, sur ce que serait « la sensation du lieu » et sur ce qu?il désigne par « le lieu comme sensation ». Ce lieu, en l?occurrence, est une place ; et, comme toutes les places, un lieu « ouvert », par excellence, sur le paysage urbain, les rues, le ciel, les flux qui s?y croisent, et sur la ville elle-même, dont elle est souvent le centre. Lieu évidemment de passage, mais aussi de « rencontre » et de « retrouvaille », de « pauses » et de « flâneries ». Un endroit où la ville semble faire corps avec elle-même, se condenser et à la fois se déployer ; et où quelque chose d?un plan, d?une forme et d?un sens s?affirment. Se donnent à voir et à entendre.
EN LIEU ET PLACE est donc et n?est donc pas un livre sur une place précise, et clairement nommée, la place Ducale, à Charleville- Mézières. Pour autant, si cette place n?est pas n?importe laquelle, elle vaut et vaudra pour toutes les autres. Et ce livre, parle et parlera, à travers elle, de toute place. De toutes les places.
En tant que place, elle est et sera, à la fois, unique et universelle, singulière et exemplaire ! Elle se présente, dès lors, pour l?auteur, moins comme parangon que comme « modèle vivant », sujet réel d?étude en acte et en direct ; puisque tout entre en ligne de compte, l?architecture, les conditions de lumière et de ciel, le lieu en tant que tel, son instance, sa présence, son histoire et sa prestance ; et tout ce qui y passe ou y survient : les gens, leurs déambulations, leurs stations éventuelles, leurs déboulés automobiles, leurs « évitements ou collisions », et même et pourquoi pas, leurs cris, leurs expressions, leurs éclats de rire, leur « chorégraphie involontaire », leurs conversations.
Sans être un essai, ce livre, extrêmement littéraire et nourri de littérature, pose des questions pertinentes : de quoi les places sont-elles le lieu ? Qu?induisent-elles dans la ou les villes ? Que produisent-elles sur nous, en terme de relation à l?espace, d?appréhension d?une ville, ou, tout simplement, de «sensations» ? Et, qui plus est, fabriquentelles également du « nous » ? attitudes, façons de se croiser, de se retrouver, d?évoluer sur la même aire, de se rassembler et de partager ? ne serait-ce que cet apaisement, ce besoin de « faire halte en ce lieu qui s?y prête » ; que ce plaisir spatial, sensoriel ou esthétique que l?on peut y ressentir. L?hypothèse, avancée ici par l?auteur, est qu?une place, lorsqu?elle est en tout point réussie, qu?elle remplit son rôle et sa fonction, nous dit beaucoup sur « la façon dont une ville respire », et, « en ce lieu », chacun d?entre nous avec.
Quelle est la vertu même d?une place au sein du tissu urbain ? Être « un paysage fixe et cependant mouvementé » ? Être un lieu de vie et de vision, un lieu où la ville, à tout coup, se recentre et s?exprime ?
Être le carrefour réel de tous les parcours, de tous les frottements, de toutes les fictions et de toutes les affirmations, individuelles ou collectives, qui y prennent naissance ou s?y révèlent ?
Voilà un livre qui, s?agissant de Charleville-Mézières, ne pouvait être qu?éminemment urbain et poétique (au sens où il est hanté par la question du poème), et, également, rythmique et musical (une place est aussi un « théâtre constant », une scène concrète qu?orchestre l?heure, la foule, « les conditions de lumières », le ronflement des moteurs, les mouvements ordonnés ou aléatoires, le bruissements des voix et le « cliquètement des pneumatiques sur le pavé »).
Auteur-lecteur, Olivier Domerg pratique résolument la lecture publique, à une ou plusieurs voix, parfois en duo avec un contrebassiste, parfois avec des musiciens. En 2007, il a créé un feuilleton de lectures publiques (Pendant la campagne, la littérature continue !) qui s'est poursuivi quatre ans durant. Par ailleurs, il travaille régulièrement avec des plasticiens, photographes, écrivains et musiciens à la conception et à la réalisation d'expositions, de pièces audio, de manifestations, de livres et revues.
Poète, Olivier Domerg a publié des livres consacrés, entre autres choses, à la question du lieu, de l'espace et du paysage en littérature. Que celui-ci soit naturel, urbain, rural ou intermédiaire, tout l'intéresse ! New York, le Var, Paris, les Bouches-du-Rhône, la Bretagne, l'Italie, les Hautes-Alpes, etc., ou les Ardennes aujourd'hui : la beauté est embusquée, le chantier ouvert, et il charrie toute la « prose du monde ». Ainsi, peut-on lire sur la quatrième de couverture d'un de ses livres : « la fiction est tombée, le décor aussi. Désormais le paysage est au centre. Mieux, il est un genre à part entière. Un genre qui contient tous les autres. »